Histoires Des Invités

 

Framm 6

Par Arkann

 

Une semaine passée à voyager, dans le cadre de mon travail. Une semaine à protéger ce patron, ce client que j’aimais de moins en moins. Un client qui s’entourait de gardes du corps par prestige, pour avoir l’air important, pas parce qu’il avait des ennemis mortels. Peu importe. Il payait à temps, et bien.

De nouveau dans mon secteur. J’avais changé le badge de spécialiste que la loi me forçait à porter pour un autre, moins impressionnant. Dans les niveaux inférieurs, je pouvais me permettre une telle chose. Dans les étages supérieurs, les autorités pouvaient me causer des ennuis pour « port de faux ».

Une semaine au loin. J’avais gardé contact avec Milène, bien sûr, mais… disons que j’avais bien hâte de l’embrasser, de la sentir sous moi.

« Bonsoir, Monsieur Arkel… » Le sourire d’Alem était détendu. Il pouvait voir, de par la faible puissance de mon halo, que j’étais plutôt allègre. Et pourquoi pas? Milène m’attendait, et j’allais pouvoir l’embrasser, sentir ses cuisses nues contre les miennes.

Alem n’était pas exactement une bonne personne, mais il avait eu une enfance difficile et tirait son épingle du jeu assez bien, sommes toute. Pressé, un peu distrait avec les visions érotiques se bousculant dans ma tête, je ne lui répondis que par un sourire.

Des portes à droite, des portes à gauche. Je tentais d’avoir l’air nonchalant, tout en ayant un pas rapide. Un chien en montait un autre avec une vigueur animale que Milène… allait connaître. Certains passants s’étaient arrêtés pour les voir à l’œuvre. La propriétaire de la chienne –je présumais- arriva avec un grand bac empli d’eau froide, et le versa sur les chiens en gueulant. Quelle cruauté!

Un autre corridor, puis un autre, et j’étais rendu dans mon coin, une zone plus tranquille et propre. Un coup d’œil à ma porte me permit de constater que Milène était présente. J’avais fière allure, bien habillé, pétillant d’énergie. J’ouvris la porte d’un grand mouvement, ouvrant la bouche pour…

Mon appartement…

Iblis… Iblis?!

Iblis tira, m’atteignit au torse. Soudainement, j’étais au sol, pris de spasmes violents, sonné. Pistolet à décharge électrique. Je luttais pour reprendre mes sens, contrôle de mon corps, mais Iblis eut amplement le temps de fermer la porte, puis de me menotter.

« Salut le chat, » elle me dit, d’un ton profondément satisfait, alors qu’elle me sécurisait. Elle me prenait au sérieux, ne prenait aucune chance.

Iblis, amante occasionnelle et ennemie jurée. Iblis, qui tout comme moi était maudite d’un halo noir. Iblis, tout de cuir vêtue. Iblis, à la grâce féline, au mauvais caractère légendaire, et à la beauté envoûtante. D’un noir d’encre, ses cheveux. Des yeux d’un bleu aigue-marine comme je n’en avais jamais vu sur quiconque.

Milène, nue, son dos à moi, attachée contre une croix en ‘X’. Sa tête était tournée : elle avait entendu l’ouverture de la porte, le tir. Les yeux bandés, la bouche bâillonnée… le dos et les fesses rougies…

Mon appartement, méconnaissable. Un mur avait été enlevé, joignant mon appartement à un autre, doublant l’espace disponible. Il y avait eu réaménagement. Il y avait de nombreuses boîtes, et tout mes meubles –à l’exception du vieux fauteuil de cuir que j’aimais tant- étaient disparus, remplacés par d’autres, très élégants, stylisés, et modernes. Mylène avait profité de mon absence pour… faire des réaménagements.

« Honte à toi, Arkel. Tu dois toujours bouger. Prends racine, et quelqu’un viendra te scier les jambes. Sois heureux que ce ne soit que moi. »

Elle me tirait par les aisselles, pas trop douce, mais pas trop dure non plus. Mes tentatives de reprise de contrôle résultaient en moins de spasmes, plus de succès. Au moins, la douleur descendait rapidement, ne laissant qu’un inconfort, un picotement sur tout le corps.

« Voila, » elle me dit, après être arrivée à me placer sur le lit. Elle sortit un couteau… et commença à m’enlever mes vêtements, les détruisant au passage.

« Je t’avais dit que je te retrouverais, Arkel. » Son ancienne colère, présente dans sa voix. Je l’avais connue dans les bataillons pénitentiaires. Condamnée à mort par le travers d’une longue peine dans les bataillons, tout comme moi, elle avait désespérément cherché à joindre mon équipe. Je l’aurais prise, avec grande joie, mais son caractère était tel que toutes les autres qualités qui la rendaient désirable ne suffisaient pas pour compenser. Forcée à former sa propre équipe pour espérer survivre, elle avait juré de m’en faire payer le prix.

Si j’étais encore vivant, c’était en partie parce que son peloton et le mien avaient généralement été déployés la ou la situation était la plus périlleuse, ensemble. Elle me devait la vie, je la lui devais aussi. Une relation complexe, hargneuse, parfois sauvage.

« Hmm. Toujours bien, mais… tu te laisses aller un peu, je vois, » elle me dit, caressant du couteau mon corps maintenant dénudé. J’avais pris un tout petit peu de poids, mais je m’exerçais souvent avec Milène, et seul lorsqu’elle n’était pas présente.

« Toi aussi, » je parvins à dire de manière assez claire pour qu’elle me comprenne. Pas vrai, mais elle était vaine.

Mon coup ne fit aucun effet, son sourire ne fléchissant aucunement. La pression appliquée par la lame, en revanche, devint juste un peu plus forte. « Tu joues avec le feu, Arkel. Comme toujours. »

Elle jeta un regard vers Milène. « Tu as du goût. Je dois avouer une certaine surprise qu’une fière chevalière de Milikki s’associe avec un type comme toi. » Un moment de pause, puis me regardant à nouveau, « encore que, avec ce que je sais … »

J’avais de la difficulté à parler, mais je reprenais contrôle de mon corps. Très désagréable. « Et que sais tu, Iblis? »

L’amusement se lisait sur sa face. « Cela fait maintenant deux mois que je vous fais filer. Je sais tout de vos allées et venues. De vos… petits jeux. Une paladin qui se fait passer pour une pute? Juteux. Je sais tout de vos petites habitudes. Des marques sur la porte. Si j’étais démoniste, tu serais déjà en route pour un joli petit rituel.»

Pas de commentaire à faire. Elle avait raison sur ce point. « Ce n’est pas très sage. »

Elle ricana. « Je ne suis pas sage, non. Ils sont coriaces, les paladins. Mais je suis prudente. Ne t’inquiète pas : il n’y a pas d’équipe d’assaut prenant place pour la libérer. Personne ne se doute de rien, ne le fera pour un jour ou deux encore. Un petit gaz sous la porte, pendant la nuit, pour la neutraliser. Je savais que tu étais sur le chemin du retour. Je serai partie bien avant qu’une équipe d’intervention n’arrive. »

« Peut-être, mais ils ont le bras long. »

Elle concéda le point d’un hochement de tête, « tu devras tout simplement la contrôler. Je t’en voudrai beaucoup si je la vois se pointer, un de ces quatre… »

Je grimaçai. « Tu surestimes mes capacités. Elle n’en fait qu’à sa tête. »

« Elle n’en fait qu’à sa tête car tu aimes les femmes fougueuses, tu aimes la surprise, tu adores devoir te battre un peu. Si tu préférais les soumises passives, elle le serait. Avec moi… elle répondait plutôt bien. » Une voix un peu plus dure, « sur ce point, tu forceras son obéissance. Pas de vengeance. »

Une relation complexe avec beaucoup de non-dits, de règles non écrites. Ma surprise avait été totale, l’avantage complètement sien, et j’étais donc son ‘prisonnier’ pour un temps. Un amour féroce couplé avec une malveillance passionnée; c’était simpliste, mais la plus simple description de ce qu’elle me vouait. Elle ne s’en était jamais cachée. Dans les bataillons, notre relation tumultueuse avait fait couler le sang, celui de ceux qui s’en moquaient. On pouvait être amusé par Iblis, on pouvait rire avec elle, mais se moquer d’Iblis… on le faisait une fois, peut-être même deux fois… mais jamais trois fois.

J’avais avisé Milène, une première fois il y avait longtemps, et une deuxième –en profondeur- lorsque Milène avait emménagé avec moi. Elle n’aimerait pas, mais Milène n’aurait pas d’autre choix que d’accepter les termes.

Pas le choix?

J’allais répondre, mais il y eut un ‘clic’ sonore qui fit se raidir Iblis. Je regardai… Milène n’était plus menottée, s’éloigna de la croix en « X », massant ses poignets. Elle regardait Iblis avec un air profondément amusé, malgré ce bâillon qui l’empêchait de parler. Iblis fit une esquisse de mouvement vers le pistolet à décharge électrique, mais elle l’avait déposé sur la table, qui était plus proche de Milène que d’elle. Une autre esquisse de mouvement, probablement vers une arme cachée, mais elle était bien consciente des limites à ne pas franchir.

Milène ne réagit même pas, suprêmement confiante. Trop confiante. Un piège. Je voyais Iblis penser, réaliser, comprendre. Était-ce une caméra ou un micro qui avait été détecté? Une équipe de filature qui s’était fait remarqué? Un informateur qui avait parlé? Si Milène l’avait laissée la capturer, c’était qu’elle était confiante que sa vie n’était pas en danger… et donc qu’elle savait avant même qu’Iblis ne bouge qui était derrière tout ça.

Je connaissais Milène, savais comment elle pensait. Iblis non. Elle roula hors du lit, alors que Milène enlevait son bâillon, bougea sa mâchoire.

Milène était plus proche de la porte qu’Iblis ne l’était. Je sentais Iblis calculer furieusement. Elle jeta un bref coup d’œil vers moi, considérant un instant l’idée de me prendre en otage, mais elle rejeta cette idée aussitôt.

Milène se racla la gorge, puis, « cet équipement a été fait selon mes spécifications. Il y a une gâchette cachée. En cas d’urgence.  J’aurais eu d’autres moyens de m’en sortir, de toute manière. Un paladin se retrouve souvent dans les pires situations… et Milikki nous donne les armes requises. Tu es arrogante, Iblis. On ne surestime jamais assez un paladin. »

Iblis gardait les yeux rivés sur Milène, se déplaçait lentement vers la porte, mais Milène secoua la tête, marginalement. « Il n’y a pas d’issue, Iblis. La vengeance est douce au cœur du paladin, » elle dit avec un petit sourire amusé en lui rappelant ce vieux dicton, « et tu me dois… certaines choses. J’ai porté chaque coup de cravache, chaque petite humiliation, chaque caresse, chaque jouissance à ton compte. Il est maintenant temps pour toi de régler. »

« Il me semble que c’est toi qui a une dette, ma petite. » On pouvait compter sur Iblis pour tenter sa chance.

Milène ria. « Oh, j’ai aimé, mais tu n’as pas demandé, et tu es maintenant en position de faiblesse. Cinq jours, et rien ne te sera fait qui soit pire que ce que tu m’as fait. »

Iblis serra les dents. « Plutôt usuraire. Une journée, et c’est généreux, car je ne t’ai même pas eue en mon pouvoir aussi longtemps. »

« Cinq jours… mais le cinquième, je serai à toi. Une paladin en ton pouvoir? N’est-ce pas tentant? Et tu pourrais montrer des choses à Arkel, j’en suis certaine. »

Oh, mais je voyais combien Iblis était tentée, bien malgré elle.

Moi aussi!

Framm 7

ŠLE CERCLE BDSM 2006