À cheval, galopant sur la route
bordant la falaise, accompagné de mes gardes. Ces gardes si courtois,
si dévoués, qui auraient sacrifié leur vie pour la
mienne, sans aucune hésitation. Ces gardes que je voyais pour la
dernière fois.
Cétait dur. Ça
lavait toujours été, ça le serait toujours.
Je métais fait des amis sincères, lors de cette mission.
Je faisais partie de leur vie. Ils faisaient partie de la mienne. Les
quitter, sans dire adieu, sans avertissement
il était difficile
de ne pas laisser paraître ma douleur. Mes gardes me connaissaient
trop, particulièrement Morham, qui était chargé de
ma vie depuis quil avait vingt ans. Morham, qui en avait soixante,
qui semblait plus vieux que moi. Moi, qui en avait quatre-vingt.
Quatre-vingt ans, chevauchant au galop.
Il était temps. Un an ou deux de plus et les rumeurs de sorcellerie
commenceraient à fuser pour expliquer mon apparence, ma vigueur.
La conseillère du royaume, la Duchesse de Séphal, devait
mourir. Préférablement devant témoins, et dune
façon qui expliquerait de manière plausible pourquoi mon
corps ne serait jamais retrouvé.
Le détour du chemin, ou tout
allait se passer. Un serrement au cur. Une grande tristesse, pour
aller avec le sentiment du devoir accompli. Ce monde était sauf,
nul ne savait, ne saurait jamais. Ainsi soit-il.
Mes sens étaient aigus, je savais
ce qui se passerait, doù viendrait le carreau. Je pris soin
de ne pas tourner la tête, de ne rien remarquer lorsque Malek se
leva dans les buissons, me mit en joue avec son arbalète
et tira.
Le carreau trouva mon ventre, senfonça
profondément. La douleur était terrible, mais négligeable
en comparaison avec mon autre douleur. Morham tourna la tête, averti
par le son, son regard rencontrant le mien. Peut-être aurais-je
dû ne pas le regarder, afin de ne pas voir son expression horrifiée.
Lun de mes gardes fut presque
assez rapide pour tout faire échouer, arrivant quasiment à
me retenir avant que je ne tombe.
Le dur contact du sol. Lagonie
du carreau fouillant mes entrailles. Le bord du précipice
et puis le vide, la longue chute, le violent contact avec une eau glacée
et profonde.
**
Les gazouillis des oiseaux, le son
du vent dans la cime des arbres, du ruisseau tout proche. Les odeurs dun
printemps perpétuel. Des feuilles vertes et belles sur les arbres.
Des pousses riches et grasses. Des fleurs de toutes les couleurs.
La clairière était ensoleillée,
la rosée perlant sur toutes les surfaces. Quelques semaines de
repos depuis ma « mort », mais dans quelques jours
de retour au travail.
En fait, jétais déjà
de retour. Cette ancienne forêt de séquoias était
celle ou jétais née, parmi les miens. Des vacances,
courtes, mais la guerre contre lennemi était sans merci,
et je ne pouvais languir ici.
Au milieu de la clairière, Kamerym
broutait paisiblement, choisissant les plus belles fleurs, semblant ignorer
ma présence. Peut-être était-ce vrai, mais la prochaine
fois que jarriverai à le surprendre allait être la
première. Il était presque impossible, même pour une
licorne, de surprendre une licorne.
Une crinière dargent,
une corne spirée dun ivoire luisant. Vingt-deux mains au
garrot, des formes élégantes, un pelage dun blanc
éclatant, couturé de cicatrices anciennes. Dénormes
sabots laqués dune couleur argentée.
Il tourna la tête, une expression
amusée sur ses traits. « La récompense pour un
travail bien fait : plus de travail. » Les premiers mots
quil madressait depuis plus de soixante ans.
« Oui, » je répondis,
aussi amusée que lui, interrompant mes efforts de surprise. Ses
mots métaient familier; il mavait ainsi adressée
lors de mes autres retours de mission. Pas de salutation, pas de perte
de temps. Il était ainsi, et tous le prenaient comme il était.
Une inclinaison de la tête, afin de toucher ma corne à la
sienne quelques moments.
« Tu as pris connaissance
de ta prochaine mission? » Il me demanda, son expression laissant
glisser toute forme damusement, devenant très sobre.
« Oui. Cest une mission
qui demande au moins trois licornes. »
Il hocha lentement de la tête.
« Cest vrai, mais tu seras seule. Malek te sera parfois
disponible. Le nombre de ceux qui meurent au combat est plus grand que
celui de ceux qui naissent. » Il avait lair fatigué
en me disant cela, rencontrant mes yeux avec détermination. Je
savais quil préparait sa succession. Je savais quun
jour il prendrait pour lui lune des missions les plus dangereuses.
Y survivrait. En prendrait une autre, puis une autre, jusquà
ce que mort sensuive. Aucune licorne ne mourait jamais de vieillesse.
« Ils ont un empire puissant, »
je répondis.
Il sourit, la fatigue bannie, « oui.
Un Empire conquérant, décadent, mauvais
mais puissant,
sophistiqué, évolué. Prends cet Empire, unis ce monde
sous ta bannière, et peut-être auras-tu les forces requises
pour repousser lennemi. Ils vont être durement frappés.
Je doute quune victoire ne soit possible, mais une retraite ordonnée,
coûteuse pour lennemi
ça, tu pourrais y arriver. »
« Je vois. »
Telle avait été ma conclusion. Javais espéré
quil moffre un meilleur espoir
mais il était
parfois impossible de contenir lennemi, et sauver ce qui pouvait
lêtre, faire payer le prix le plus lourd, telles étaient
parfois les seules choses pouvant être faites. Je détestais
au plus haut point la défaite.
Plusieurs heures de discussions, de
préparations, et il était temps dy aller.
**
Tu vois, Capitaine, cest
ça, la forteresse de Valan. Le ton de Mephréam était
moqueur, narquois. Mephréam
était une personne fondamentalement
irrévérencieuse, mais il était très intelligent,
et je réalisais maintenant que ce quil avait dit de la forteresse
était
totalement vrai. Il avait aussi la main tendue, pour
recevoir le résultat de son pari.
Deux écus dor. Bon. Cétait
de bonne guerre. Il empocha le fruit de sa connaissance en riant, alors
que jexaminais la forteresse. Après quelques minutes dobservation,
je savais que je ne trouverais aucune faille, quelle était
aussi imprenable que Mephréam lavait affirmé. Des
siècles de guerre à mon nom. Des forteresses, jen
avais assiégé des centaines, mais aucune comme celle-ci.
De hauts murs épais fondés
sur le roc vif, un roc dune grande dureté. Une falaise profonde
protégeait trois cotés, alors que le flanc où il
y avait suffisamment despace pour déployer une armée
était puissamment défendu et possédait une mauvaise
pente. Tout engin de siège serait à porté des catapultes
et trébuchets des défenseurs longtemps avant de pouvoir
tirer. Tout ce que je pouvais voir de la forteresse était en parfait
état.
Alors que je regardais, Mephréam
me débitait les mauvaises nouvelles, me parlait des profondes citernes,
des silos à grain, des troupes à la disposition du Duc.
Le duché de Valan était un duché riche en tout :
bois, minerais, or, et suffisamment de bonnes terres arables pour avoir
assez de nourriture pour une assez grande population plutôt bien
éduquée. Les forgerons de Valan étaient connus pour
leurs aciers damasqués, leurs épées de haute qualité.
Et puis il y avait cette autre richesse, lextrême qualité
des chevaux vendus par Valan.
En contrebas, je pouvais voir la cité
entourée de ses murs. Des fortifications aussi bien pensées
et maintenues que celles de la forteresse. Prenable, mais la prise dune
telle cité serait longue et coûteuse. Et ça, seulement
si larmée dinvasion arrivait à prendre forteresse
après forteresse au travers de cols ou les conditions de vie pour
les assiégeants exposés aux éléments seraient
au mieux- misérables. Et puis il y aurait lharassement
constant dune cavalerie légère harcelant les convois
de ravitaillement, une cavalerie plus lourde infligeant de lourdes pertes
de temps à autre. Valan avait aussi quelques régiments dinfanterie
lourde pour la défense statique, supporté par des unités
darbalétriers bien entraînés. Un cauchemar.
Je détestais déjà
le Duc de Valan, car lorsque lEmpire serait mien, jaurais
soit à prendre son duché par subterfuge ou, plus probablement,
négocier avec lui. Je détestais négocier.
Lassassinat était aussi
une bonne option. Lorsquune licorne décidait quun simple
mortel devait mourir, ce simple mortel mourait, point. Certainement, pour
prendre le contrôle de lEmpire, jallais devoir verser
le sang. Rien de choquant lorsque le but ultime était de tenir
lennemi à lécart. Pour une telle cause, la fin
justifiait tout moyen.
« Alors, Capitaine, tu es
satisfaite? » La voix de Mephréam était plus
sobre qua laccoutumée. Javais la mine renfrognée,
très pensive. Six ans à me monter une compagnie de mercenaires,
à inspecter ce monde, à reconnaître le terrain, le
champ de bataille ultime, à explorer lEmpire, à identifier
ses forces, ses faiblesses, ses ressources. Mephréam était
avec moi depuis le début, et il commençait à bien
me connaître.
« Oui. Allons-y. »
Ma voix était distante, froide. Ostensiblement, nous étions
ici pour acheter des chevaux, ce que jallais faire, naturellement.
Mais je naimais pas Valan. Je détestais Valan. Je me méfiais.
Un instinct qui mavait maintes fois sauvé la vie mavertissait
dun danger obscur
**
De leau courante. Une tuyauterie
de plomb ou de cuivre. Il y avait un miroir moucheté dans ma chambre
de bains. Avant maintenant, seul dans les auberges les plus dispendieuses
de la capitale avais-je vu une telle richesse, une telle sophistication.
Ici
cétait dans une auberge pour la classe moyenne
Plus je connaissais Valan, plus je détestais ce duché, plus
mon ardeur pour le compter comme une de mes ressources était grande.
Plus je voyais Valan, plus son potentiel pour maider ou me contrer
devenait évident.
Je me regardais dans le miroir, ma
face dégoulinant deau. Mon expression était fermée.
Javais pris apparence humaine, naturellement. Un âge denviron
vingt-quatre ans, ce qui me donnerait la « longévité »
requise pour compléter ma mission. Des yeux bruns, des cheveux
blonds. Des traits ayant du caractère. Pas très grande.
Belle, sans plus. Je me faisais souvent demander comment une femme pouvait
mener des mercenaires au combat et être prise au sérieux.
Je nétais pas toujours respectée par ceux qui ne me
connaissaient pas. Ces gens apprenaient vite à changer leur attitude.
Sils survivaient.
Seule sur ce monde pour des dizaines
dannées avec ma lourde tâche, sans un mâle de
mon espèce
il marrivait parfois dêtre dhumeur
massacrante. La seule chose plus dangereuse quune licorne de mauvaise
humeur était une licorne en chaleur. Ça, et une licorne
en chaleur sans espoir de trouver un partenaire adéquat.
Quelques minutes plus tard, jétais
dans la rue avec Mephréam et quatre autres mercenaires. Une rue
pavée, des égouts souterrains, un système daqueduc
sophistiqué, des bâtiments en pierre, la ville propre et
en ordre, même dans les quartiers plus pauvres. Le feu ne se propagerait
pas facilement, ni non plus la vermine ou la peste. Une ville très
facilement défendable. La simple garde municipale était
bien équipée, bien entraînée.
Les gens semblaient heureux, prospères,
en santé. Javais posé des questions sur le Duc de
Valan
un homme mystérieux, dune lignée mystérieuse.
Arkann Devalerian, homme détat, de guerre, de négoce.
Largent et le noir, le cheval de sable cabré sur champ dargent,
ses couleurs et ses armoiries étaient en évidence partout
au travers de la ville.
Malgré mes questions, je navais
eu que peux de réponses. Les gens savaient remarquablement peu.
Des taxes honnêtes, des services de qualité, une justice
ferme parfois cruelle-, mais juste. Le Duc avait une police secrète,
tout le monde saccordait à le dire, et cette police était
très crainte. Il y avait une rumeur marquée qui voulait
que ces « Auxiliaires » utilisaient une magie noire
pour démasquer les espions, fraudeurs, officiels corrompus, dissidents,
et autres criminels. Personne ne fraudait ou ne volait le Duc, car ceux
qui le tentaient se faisaient toujours attraper.
Et puis il y avait ces rumeurs que
le Duc était un dragon qui prenait forme humaine. Ou encore quil
était vampire, ou bien magicien et quil faisait des sacrifices
humains pour rester jeune. Dans tous les cas, il se nourrissait ou sacrifiait
des criminels justement condamnés à mort, ce qui rendait
ces travers tolérables au peuple. Peu importe laquelle des sinistres
rumeurs était vraie, la croyance populaire voulant que le Duc dil
y avait deux siècles était le même que celui daujourdhui
me paraissait crédible. Ne serait-ce que par lordre, lefficacité,
la prospérité qui régnaient ici.
Il allait être un ennemi dangereux.
Rien quun petit coup de corne discret ne pouvait arranger.
Mais il était temps de penser
à autre chose. Nous étions arrivé au marché
aux chevaux de Valan, réputé hors des frontières
mêmes de lEmpire. On y venait de fort loin pour acheter les
meilleurs chevaux du monde, et léquipement qui allait avec.
Ce marché permanent était situé hors des murs de
la ville, et offrait tout ce quun cavalier pouvait avoir besoin,
des harnachements aux fers, des chariots aux armures. Des chevaux bien
brossés, en santé
et seulement de bons chevaux. Les
normes étaient suivies sans exception. Il existait un marché
secondaire pour ceux qui voulaient des chevaux meilleur marché.
Les chevaux les plus renommés
provenaient des réputés haras du Duc lui-même. Aucun
étalon, aucune jument, seulement des hongres. Valan prenait grand
soin de ne pas perdre le contrôle de sa richesse. Vendre un étalon
était passible de la peine capitale après torture-,
une peine rigoureusement appliquée.
Il y avait de nombreux marchands ici.
Et beaucoup dacheteurs. Un premier tour, pour me faire une idée
de ce qui était disponible. Jobtins rapidement la réalisation
que la réputation des chevaux de Valan était loin dêtre
surfaite. Une surprise profondément agréable. Des chevaux
vraiment impressionnants, aussi parfaits que des chevaux pouvaient lêtre.
Des chevaux parfois irascibles et agressifs, plein dénergie,
de puissance. Des chevaux de trait, des chevaux de guerre, des chevaux
de course. Des trotteurs, des chevaux pour la monte générale.
Des chevaux ayant souvent une robe noire.
Jétais comme une enfant
dans un magasin de confiserie, imposant un pas rapide à mes compagnons.
Ils étaient amusés, car ils ne mavaient jamais vu
aussi excitée. Le jour ou lEmpire serait mien, je disposerais
de la meilleure cavalerie jamais connue.
Et puis je parvins aux écuries
du marchand représentant le Duc. Initialement, les gardes ne voulurent
pas nous laisser passer, riant à lidée que de simples
mercenaires puissent se permettre daussi nobles montures. Le marchand
était libre et jétais persistante. Il me montra les
chevaux disponibles.
Je croyais avoir vu des chevaux parfaits :
je métais trompée.
« Je les prends tous. »
Kalem, le marchand, ria à ce
quil croyait être une farce. « Bien entendu, Capitaine.
Tous aimeraient bien le faire. »
« Je suis sérieuse. »
Il y avait une chose dans le ton sans
inflexion de ma voix qui larrêta net et le fit me regarder
avec des yeux nouveaux. Mes gardes se regardaient, médusés.
Mephréam semblait avoir avalé sa salive de travers.
Le marchand avait regardé mon
équipement, celui de mes gardes. Un peu rapidement, peut-être.
Il prit plus de temps ce coup ci. Tout était sobre et sans richesse
visible
mais chaque pièce déquipement était
de la meilleure qualité. Son visage devint neutre. Il comprenait
que son évaluation initiale était erronée.
« Vous êtes une dame
très riche, Capitaine. Très, très riche. »
Il posait une question avec cette affirmation.
Un hochement de tête. « Oui.
Dailleurs, si vous avez dautres chevaux daussi bonne
qualité, je vais les prendre aussi. Envoyez quelquun vérifier
auprès de la Banque Impériale. Ils devraient avoir reçu
une autorisation de paiement en mon nom. Zéra de Séphal. »
Il caressa sa barbe quelques instants,
et décida de jouer le jeu, envoyant lun de ses serviteurs
faire cette vérification, et minvitant à son bureau
pour parler. Un hôte sans reproche, cultivé, capable de tenir
une conversation intéressante. Le servant revint deux longues heures
après avoir été envoyé, et arriva accompagné
du directeur de la banque lui-même. Quelques formalités dusage,
et cétait fait. Puis le marchandage commença :
je lui avais donné un avantage marqué en disant que je les
prenais tous des fois, ma fougue prenait le meilleur de moi- mais
je savais marchander, et le faire plutôt bien.
Il mabreuvait de thé,
et je massurais quil en boive autant que moi. Cest lui
qui se retrouva le premier a être inconfortable. Chaque cheval,
inspecté dans ses moindres détails, chaque défaut
monté en épingle. Je me foutais éperdument quun
cheval ait une tache blanche qui le rendait moins beau, mais je men
servais sans vergogne.
Le marchand était un requin
sournois, mais il se battait avec une personne ayant des siècles
dexpérience. Je savais à lavance ce quil
allait me dire, ce que jallais lui répondre. Six heures plus
tard, nous avions conclu un marché. Un marché honnête,
qui ne le ferait pas fuir si je revenais, mais un marché ou jétais
loin de mêtre fait avoir.
« Jai un emploi pour
vous, si vous le désirez, » il me dit, mi-sérieux,
avec un ton penaud, en me serrant la main. Cétait flatteur.
« Le marchandage nest
pas ma force, » je lui répondis, parfaitement sérieuse.
**
« Capitaine, tu es vraiment
si riche ? »
La question provenait de Mephréam.
Javais dépensé une somme colossale pour avoir les
chevaux que nous menions maintenant vers nos casernements. Lui et les
autres narrivaient toujours pas à croire, même si Valan
était maintenant une journée derrière nous.
Des mercenaires. Je pouvais sentir
leur cupidité. Je les croyais loyaux, javais confiance, mais
jallais voir dans les jours qui viendraient si javais raison.
Lappât du gain était un motivateur important pour tout
mercenaire. Si javais tort, ils me tueraient dans mon sommeil, une
nuit. Tenteraient. Ny parviendraient pas. Comprendraient brièvement
leur erreur. La prochaine fois quun simple mortel arrivait à
assassiner une licorne allait être la première.
« Oui, Mephréam,
je suis vraiment aussi riche. »
Il y eut un long moment de silence.
Puis, « Capitaine, pourquoi être mercenaire, alors ? »
Une question sérieuse qui méritait
mieux que les fausses réponses que je pouvais lui donner. « Jai
une destinée, Mephréam. Elle passe par la compagnie. »
Cétait le mieux quil métait permis de
faire.
Un autre moment de silence, puis, « et
cet or ? Il vient doù ? »
« Jai tué un
dragon lorsque jétais petite. Il avait un grand trésor. »
Parfaitement vrai. Bien sur, jeune licorne contre dragon, cétait
tout de même moins risqué que jeune fille contre dragon.
Un long moment de silence. Puis ils
décidèrent de rire, comme si javais fait une farce.
Mon petit sourire énigmatique les conforta dans leur idée.
« Ça va, Capitaine.
On ne te demandera plus doù il vient, ton or. Et puis, tu
nas rien à craindre de nous.. » Mephréam
me dit, capable de se mettre à ma place et deviner ce qui aurait
été une appréhension normale de ma part.
« Mais je nen doute
pas, mon cher Mephréam. La compagnie entière mest
loyale. » Elle létait. Pour une compagnie de mercenaires.
Tant que je faisais preuve de compétence, de fermeté juste,
et que je les enrichissais, la compagnie demeurerait loyale.
**
« Capitaine. La Ligue est
prête à vous aider, mais nous doutons de votre capacité
de parvenir à vos objectifs. »
Aber Alsan était un homme raffiné
aimant les beaux habits, les manières sophistiquées. Un
bellâtre. Un bellâtre ayant en apparence trente ans alors
quil en avait plus de cent. Un mage dun très grand
talent, qui aimait bien se faire sous-estimer. Une personne compétente,
dangereuse, qui me serait un jour très utile.
« Je comprends, Aber. Ça
paraît improbable. Mais je réussirai. Le jour de ma victoire,
puis-je _vraiment_ compter sur la Ligue? »
La Ligue était une Alliance
solide de petits pays, états nations, intérêts commerciaux
et religieux qui avaient un point en commun : la crainte de lEmpire.
LEmpire poursuivait son expansion, à un rythme limité,
était au courant que la Ligue était un ennemi
et avait
le luxe de pouvoir ignorer cet ennemi qui aurait été dangereux
pour nimporte quelle autre entité que lEmpire.
Le mage me regarda longuement. Puis,
« vous pourrez compter sur la Ligue. Si vous respectez vos
engagements. »
Un pion de plus de placé.
**
Être Capitaine dune compagnie
de mercenaires nétait quune des nombreuses manières
que javais pour parvenir à mes fins, tout en ne révélant
pas ma nature. Je trouvais cette manière particulièrement
utile, car elle me permettait de bâtir une petite armée personnelle,
didentifier les hommes de guerre les plus aptes à un jour
me servir, et me faire une très bonne idée des forces militaires
qui me seraient disponibles.
Je comptais sur deux unités
distinctes : mon unité de cavalerie lourde, forte dune
centaine dhommes, et mon unité de hallebardiers Murinois,
denviron deux cent hommes si lon ne comptait pas la vingtaine
darbalétriers auxiliaires chargés de garder les archers
à distance. À cela sajoutaient les unités de
support requises pour déployer ces hommes sur le champ de bataille.
Un nombre minimal pour un résultat optimal, mais
En tout,
javais un peu plus de six cent personnes à mon emploi, et
mes officiers étaient triés sur le volet. Jarrivais
à financer le tout sans que cela me coûte un sou, ce qui
était plutôt impressionnant considérant que je mettais
lemphase sur lexpérience et léquipement
plutôt que sur les profits.
Assise à la table dans mes quartiers,
à la lueur dune lampe, je révisais les livres, un
exercice ennuyeux, mais nécessaire pour garder tout le monde honnête.
Dans quelques jours, je marchais avec les hallebardiers sur Marsalis pour
rejoindre une armée de mercenaires qui allait envahir cette contrée.
Javais accepté loffre plus pour en apprendre sur cette
reine qui existait déjà dans les livres dhistoire
il y avait maintenant deux siècles que pour toute autre raison.
Une magicienne avouée, de grand talent, qui me serait certainement
utile un jour. Me battre contre elle nétait pas un mauvais
moyen pour en apprendre beaucoup. Il fallait donc que tout soit en ordre,
avant de partir.
Absorbée par mes tâches,
je manquai presque les signes de quelquun sinfiltrant dans
le bâtiment, sapprochant furtivement de moi. Il nétait
pas encore dans la pièce, ni même dans le corridor y menant,
mais
un sourire carnassier. Une attente. Je le sentais sapprocher,
avec grand talent. Je nallais pas tuer un assassin aussi talentueux,
mais il allait avoir toute une surprise.
Cest moi qui en eût une.
Malek ! Une joie profonde me prit.
Il soupira, un air contrit et gamin sur sa face souriante, lorsquil
entra dans la pièce et réalisa encore une fois que licorne
ne pouvait surprendre licorne. Il avait forme humaine, la même quil
avait prise pour assassiner la pauvre Duchesse de Séphal il y avait
maintenant des années, sur un autre monde.
Il ouvrit la bouche pour parler, mais
je ne lui laissai pas le temps, lenserrant dans mes bras, profitant
de sa bouche entrouverte pour lembrasser agressivement. Le son de
son dos frappant la porte durement, la claquant en position fermée.
Il récupéra vite, mencercla de ses bras, me serra
très fort, répondit à mon baiser avec vigueur.
Problème. Des années,
avec seulement les moyens du bord pour me satisfaire. Et la, sans avertissement,
un beau mâle tout jeune, fougueux et virile. Je frémissais
à lidée de lui et moi sous notre vraie forme
mais ça nétait pas possible, pas ici au beau milieu
des baraquements. Deux licornes en rut
ne toléraient pas
la présence de témoins pendant leurs ébats. Et puis,
nous ne pouvions risquer dêtre vus par déventuels
survivants.
Malek me repoussa, après un
moment. « Du calme, Zéra, » il me dit, à
voix basse.
Du calme !? Il pouvait bien dire
cela, lui qui allait de monde en monde, de licorne en licorne. Messager,
assistant, amant
« Capitaine ! Tu vas
bien ? » La voix de Mephréam. Je lavais senti
accourir, mais ignoré cette connaissance. Pas Malek. Je devais
me contrôler.
« Oui, Mephréam. »
Une voix étranglée, distraite.
Le son dune épée
sortie de son fourreau. La porte souvrit suite à un solide
coup de pied. Mephréam avec une expression mauvaise, larme
au poing, sentant que quelque chose nallait pas. Ses yeux sécarquillèrent.
« Capitaine
! »
Lair sidéré, il baissa son arme
puis sourit
de son sourire le plus moqueur. « Tu es de chair, finalement. »
Il ne pouvait le savoir, mais il était
à deux doigts de se faire encorner, de se faire piétiner,
de se faire trucider. Malek me tenait serré contre lui, tout calme.
« Passez votre chemin, mon
cher. Nous sommes occupé. » Il lui dit cela dun
ton plaisant, mais ferme.
« Comment es-tu entré ? »
Il rétorqua.
« Mephréam !! »
Le grommellement qui provenait de moi était plein dune certaine
fureur. Je frissonnais. Je voulais le tuer, léliminer, afin
que moi et Malek puissions commencer en paix. Malek me retenait.
Mephréam avait le sourire fendu
jusquaux oreilles. Il leva une main. « Ça va !
Ça va ! » Et il ferma la porte. Tout le monde allait
le savoir dans les minutes qui viendraient. Je pouvais lui confier des
secrets et il ne parlerait pas, mais des potins
? Particulièrement
des aussi juteux ?
Malek détourna lattention,
membrassa de nouveau, et joubliai tout. De longs moments à
sembrasser, à se coller, à se caresser. Puis il regarda
vers le haut, mais le plafond était trop bas. Sous nos vraies formes,
ça nétait pas possible. Et puis, nous étions
au deuxième étage, et on nous aurait entendu. De toute manière,
le plancher nétait pas assez solide pour prendre le poids
de deux licornes copulant avec énergie. Sous forme humaine, donc.
Était-ce lui qui mavait
portée au lit ? Ou était-ce moi qui lavait poussé
jusque la ? Jen perdais des bouts tellement mon besoin longtemps
réprimé était grand. Le son de vêtements se
déchirant, les protestations amusées de Malek. Il nétait
pas étranger à ce genre de réception. Un jour, il
aurait lexpérience requise pour avoir ses propres missions
et il comprendrait. Seul, pendant des décennies.
Un solide gaillard, bien fait, sous
cette forme humaine quil avait. Une gueule dange, avec la
mâchoire comme coupée au couteau, angulaire. Juste assez
musclé. Je pouvais limaginer sous sa vraie forme, étalon
élégant, puissant, bien membré
les fantasmes
que javais eue au cours des dernières années, de lui,
de dautres licornes. Tout me revenait en une vague qui maveuglait,
massommait, ne laissait quune chose à lesprit.
Il riait, essayait de me contenir.
Il était sous moi. Il saignait dune lèvre. Lavais-je
frappé par mégarde ? Le goût de son sang dans
ma bouche. Mordu. Tant pis pour lui.
Ses pantalons, enfin hors du chemin,
révélant son membre bien raide. Il tentait de me ralentir,
de me caresser. Il se mérita une morsure bien sentie à lépaule
et des menaces variées, grommelées aux oreilles. Si nous
avions été sous notre vraie forme, il se serait mérité
une solide ruade au poitrail pour son manque dempressement.
Et puis, ce moment de pénétration.
Le premier depuis trop longtemps. Si bon, si intense. Je le pris, profondément.
Il était suffisamment bien membré pour satisfaire ce besoin
animal. Javais réprimé mes besoins trop longtemps.
Il me caressait, me disait des mots doux, mais je men foutais. La
seule chose qui comptait était ce besoin physique, immédiat,
brûlant. Jy allais sans ménagement, sans aucun égard
pour mon partenaire. Je savais que jétais sauvage, bruyante,
que je le griffais, que je le chevauchais rudement. Jeune, javais
tenu son rôle, subi avec amusement et satisfaction les ardeurs animales
détalons demeurés trop longtemps sans partenaire.
Jallais y aller plus gentiment.
Après. Dans quelques jours. Peut-être.
Le
Harem 7
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