Histoires Des Invitées
La Carotte Nantaise 35
Claude D'Eon
PEUT-ON RAISONNABLEMENT BRULER LES PLANCHES QUAND ON A LE FEU AU CUL ?
Ma modeste expérience de serveuse au « Lolitas » me redonna le
goût du spectacle et du contact avec le public. Je finis par repenser à ma
décision de contacter Claudine du « Pop Model » : je retournai
sans arrêt dans ma tête l’idée gourmande de me produire sur scène, en me
demandant si c’était une bonne intuition, et surtout si ce que j’avais à
proposer était digne d’intérêt. J’avançais, reculais et finis par saisir le
bottin quelques jours plus tard : Un coup de fil ne pouvait pas me faire de
mal…
Après plusieurs sonneries dans le vide, une agréable voix masculine, bien
qu’essoufflée, me répondit. Malheureusement, Claude –Claudine étant son nom
de scène- n’était pas présent sur les lieux avant quinze heures. Je me
proposai donc d’aller lui rendre visite vers seize heures, il ne devrait
alors pas être trop pris…
Alerté par des bruits suspects, je me dirigeai vers notre chambre à coucher
: j’y trouvai ma Carole, un bout de langue appliqué pointant au coin de ses
lèvres, vissant avec un art consommé une plaque d’un goût douteux sur la
porte de notre chambre conjugale : un panneau d’avertissement de chantier,
jaune, plutôt usagé et défraîchi.
Carole me sourit de toutes ses dents de fine porcelaine :
—
« C’est rigolo, hein ? J’ai trouvé ça sur le bureau de Denis, il m’en a
fait cadeau. Ça te plaît ? »
Je fis la moue, ce qui ne sembla pas la perturber plus que ça : « ATTENTION SORTIE D’ENGINS » placardé sur la porte de notre petit
nid d’amour, ce n’était pas pour m’enchanter outre mesure :
—
« C’est en l’honneur de ton gros cul agricole, cet avertissement ? »
Elle haussa les épaules en me tirant la langue :
—
« T’es con… C’est pour les engins masculins, pour prévenir tout
accident regrettable… »
Je fixai tristement le sol :
— « Avec un engin comme le mien, tout risque est écarté… »
—
« Ouais, mais il n’y a pas que le tien !… Et puis c’est comme le
panneau « Attention au chien »
: des fois, c’est pour ne pas marcher dessus quand il est tout petit ! »
Je renonçai à lui dire ce que je pensais de sa dernière fantaisie tout en
priant qu’elle disparaisse rapidement.
Afin de m’aider à ne plus penser à cette horreur, je me remis sérieusement
au travail. Ces derniers mois, j’avais grandement relâché mon zèle, au
détriment de mes affaires et de celles de mes clients, en droit à plus de
considération de la part d’un professionnel de la finance tel que moi.
Tout en enchaînant mes diverses tâches, je repensai à toutes les chansons
que j’aurais aimé interpréter, en espérant que j’aie mon mot à dire.
J’imaginai également les chorégraphies, tenues et accessoires
correspondants : mon imagination fertile risquait d’en dérouter plus d’un…
J’avais réussi à convaincre Carole de ne pas m’accompagner au « Pop Model. » Elle avait de toute façon mieux à faire avec ses
bestioles.
Claude lui-même vint m’ouvrir. Il ne me reconnut pas sur le coup, mais me
tomba dans les bras quand je lui expliquai qui j’étais et ce que j’étais
venu faire ici :
—
« Oui ! Je me souviens maintenant ! …Franchement, je ne pensais pas te
revoir ! Alors, tu veux faire quelques pas dans le monde du spectacle ?
»
Je m’étais un peu exercé dans la glace, dans mes rares moments de solitude.
Carole n’est pas ma spectatrice préférée, elle passe son temps à se moquer
de moi et de mes ondulations féminines.
Confortablement installés dans un petit salon, Claude m’exposa le programme
type que je devais respecter :
—
« Si tu veux entrer dans l’aventure, tu devras chanter trois chansons
en play-back et réaliser un strip-tease, intégral ou pas, à toi de
voir. Tes play-back devront être en costume et seront portés par une
chorégraphie originale. Si tu es bonne, tu pourras même faire partie de
notre nouvelle revue de la rentrée. »
— « J’ai le choix des chansons ? »
—
« Mais oui, de tout ! Ce sera ton bébé, et si mon compagnon et moi n’y
trouvons rien à redire, en un rien de temps tu te retrouveras sur les
planches ! »
Il me fit un sourire gêné :
—
« Par contre, ton cachet risque d’être un peu maigre… On tire un peu le
diable par la queue en ce moment. »
—
« Ce n’est pas un problème. Si je fais ça, ce n’est pas pour l’argent.
Tu n’auras qu’à donner mon maigre cachet aux victimes du sida ou à un
foyer pour jeunes homos rejetés par leur famille… »
Claude se leva pour m’embrasser :
—
« pas de doute, tu es taillée pour faire vraiment partie de notre
famille à nous
! Sinon, tu as quelques idées de chansons ? »
Je lui exposai mes projets, et il me répondit par une moue de mauvais
augure :
—
« Tu as vraiment de drôles d’idées. Ça va à l’encontre de tout ce qu’on
a fait jusqu’ici. »
— « Justement : je ne veux pas te vexer, mais « Juanita Banana »,
dans ta robe à Froufrou bariolée, ça fait plutôt « cage aux folles. » Tu ne crois pas que je risque de dépoussiérer
un peu le genre ? Toute modestie mise à part, bien sûr… »
Nous nous sommes quittés là-dessus. Je m’étais promis de revenir dans un
premier temps avec une petite vidéo de mes prestations, histoire de bien
présenter mon projet. Il me semblait receler de bonnes idées et je me
sentais un peu vexé d’avoir été incompris.
À suivre dans " La carotte Nantaise 36: L'enfer est pavé de faïence blanche
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