Histoires Des Invités

 

Le Loup 13

Par Arkann

 

Ma petite Baronne avait un nom : Tasha. Un nom plaisant à mes oreilles, que je trouvais gracieux. Je le lui avais donné, ce matin, au terme d’une nuit mouvementée. Elle puait le loup et la louve, ne sentait presque plus la biche. Il y avait des parties de sa fourrure, spécialement à l’aine, sous la queue, et dans la face qui étaient collées contre son corps. Elle n’avait plus fière allure, notre baronne.

Une longue perche que je supportais à une extrémité, que Vaya supportait, à l’autre. Entre les deux, pendant de cette perche, notre fière baronne, attachée par les chevilles et les poignets. Elle était complètement nue. Elle n’avait plus la force de garder sa tête relevée, et ses oreilles touchaient presque le sol. Une prise de chasse. Les gens que nous passions regardaient. Il était rare pour eux de voir des prédateurs ramener ainsi leur proie, mais dans un Empire fondé par les loups et pour les loups, une telle chose était parfaitement normale.

C’est moi, qui avais pensé à ce moyen pour la ramener. La biche était épuisée, mais je la sentais bouger, parfois, et je savais que son sexe était luisant. Plus d’une fois, un passant ou une passante allongea une main, pour toucher sa fourrure, fasciné, leur Endoctrination les rendant téméraires.

Elle avait été servie, cette proie.

Il y avait un temps ou elle avait désiré la discrétion. Où cela lui était vital. Ce matin, elle avait réalisé que cela ne lui importait plus du tout. Pas face à la perspective d’être vue ainsi. Moi et Vaya avions marché toute la distance. Presque deux heures en tout. L’appartement de la famille de Vaya dans la Capitale, qui était le plus proche. J’avais téléphoné à Valérie, pour qu’elle soit présente. Nous y étions enfin.

On nous ouvrit la porte. Les esclaves de Vaya, mais aussi ceux en charge des lieux, que je ne connaissais pas. Certains faisaient partie d’une caste intermédiaire. Ce lieu était dans une zone moderne, huppée. L’appartement était en fait un complexe d’appartements reliés entre eux, assez vaste, luxueux. Pas du tout situé dans l’ancienne cité, plus prestigieuse, mais vastement moins confortable.

Lorsqu’un membre de la famille de Vaya, ou encore une des vassales, était de passage dans la Capitale, cette personne venait ici. Shavayan n’avait pas de gouvernement central fort, et ce complexe de la famille Shavayan faisait office d’Ambassade. Tout était décoré à la manière de Shavayan, avec grand goût. Un cerf impressionnant semblait en charge, une impression confirmée quelques instants après que nous ayons déposé notre fardeau sur le sol.

« Arkel, voici Solrac, notre Chastelain dans la capitale. »

Une poignée de main solide. Il avait les yeux vifs, ses bois étaient magnifiques, et je me doutais bien qui satisfaisait Vaya en mon absence. Vaya… avait un goût plutôt marqué pour les cerfs bien bâtis, en avait deux parmi son harem.

« Bienvenue dans notre domaine, Arkel de Kivat. »

« Solrac, Arkel fera un jour partie de ma famille, avec tout ce que cela implique… » Vaya lui annonça cela avec une grande confiance, sans même me regarder. Deux jours avant, j’aurais dit quelque-chose. Mais après ce que nous avions partagé cette nuit, compagnons de chasse… une chose était tombée en place, sans que nous ayons besoin d’en parler. Valérie, qui était présente, haussa un sourcil en surprise, puis sourit lorsque je ne réagis pas.

« Mes félicitation, Maîtresse, » il lui dit, semblant sincère, puis inclina sa tête en ma direction. « Et à vous aussi, Citoyen. »

Vaya avait un air franchement satisfaite. « Solrac, j’aimerais que tu fasses découvrir certaines choses à Arkel, lorsque tu en auras la chance. » Vaya roulait une épaule douloureuse en disant cela.

Le cerf comprit le message. « Bien sûr, Maîtresse. »

« Me faire découvrir quoi, exactement? »

Elle avait un sourire espiègle. « C’est une surprise, Arkel. Pour le moment… » Elle tourna son attention vers notre proie, qui semblait très endolorie, incapable de bouger. Deux heures suspendue ainsi, même avec le soin que nous avions pris pour la laisser aussi confortable que possible.

J’aidai Vaya à détacher la biche. « Socaris, cette biche me semble avoir un potentiel génétique assez savoureux. Je crois qu’un croisement entre toi et elle donnerait d’excellents résultats. Rends la enceinte, si tu le peux. » Socaris était l’un des deux cerfs en service dans son harem. Tasha était probablement trop vieille pour tomber enceinte, mais je la vis réagir. Excitée à l’idée, ses yeux tombant sur ce mâle à peine moins impressionnant que Solrac.

« Ce sera avec grand plaisir, » il répondit, regardant la Baronne de la tête aux pieds.

« Sache que si elle survit le mois à venir, l’engrosser lui sauvera la vie pour presque un an. Si elle met bas, l’enfant sera envoyé dans ta famille, avec des perspectives positives. Pour le moment, rends la présentable. Tu peux en faire usage comme et quand bon te semble. »

Socaris inclina sa tête. Que la biche en soit encore capable ou pas, il ferait tout en son pouvoir pour exhausser les souhaits de Vaya. Tasha jeta un regard lourd de sens à Vaya. Un regard lourd de désir. Elle découvrait que, finalement, nous avions énormément à lui offrir, que son temps était loin d’être venu. Si nous le décidions ainsi.

Elle retourna son attention à ce mâle qui la prenait dans ses bras, pour l’emporter ailleurs. Vers un bon bain chaud, je présumais.

Vaya roulait toujours son épaule, grimaçant un peu, nous menant –moi et Solrac- vers ses propres quartiers, « je dois informer ma famille de mes intentions envers Arkel. Il va y avoir quelques complications. »

Il me faudrait éventuellement parler de tout cela à ma famille, et probablement parler à un conseiller de l’une de nos ambassades afin de voir ce qui pouvait être fait, ce qui ne pouvait pas l’être. Je pouvais imaginer le genre de complication qu’il y aurait de son bord.

Vaya prit quelques minutes pour donner des instructions claires et précises au cerf, puis c’était le temps de la douche, suivi d’une courte sieste. En début d’après-midi, je rencontrais mon nouveau patron.

**

Un renard. Assez vieux. Le frère aîné d’Arlenn Kerzah. Ministre des Affaires Impériales. Patron officiel de la diplomatie impériale. Il me regardait avec intérêt.

J’avais mes meilleurs vêtements, tout était repassé à la perfection. Le Sergent Elsenheym n’aurait rien trouvé à redire de mon apparence.

« Il n’y a pas pire ennemi qu’un diplomate de carrière qui voit un jeune loup n’ayant fait aucune preuve, sans aucune expérience, propulsé à un poste plus élevé que le sien, sans raison qu’il considère bonne.  Tu auras des ennemis qui chercheront à t’assassiner avec classe, gentiment, en te donnant un sourire diplomate.» Il me dit cela d’un ton affable.

« Je veux commencer au bas de l’échelle, » je répondis.

Il secoua la tête. « Ce n’est malheureusement pas possible. Arlenn ne m’a pas donné ses raisons, mais je peux en imaginer plusieurs… Je dois faire en fonction du cas le plus extrême. Je serais très embarrassé d’un jour répondre à la jeune héritière du trône que son père est un simple fonctionnaire travaillant sur un monde lointain et sans importance. Si Arlenn t’assigne à moi, c’est qu’elle veut pouvoir se… débarrasser de toi, t’envoyer loin, de manière plausible, dès que tu n’es plus nécessaire. »

Que pouvais-je répondre? Le pire, c’est que je savais avec qui j’avais couché cette première nuit sur ce monde. Avec un peu de chance, qu’elle ne se soit plus manifestée depuis voulait dire beaucoup.

Son sourire ne changea aucunement. J’avais cette impression qu’il avait toujours ce sourire, que les nouvelles soient bonnes ou pas. « Peut-être ne saurai-je jamais si tu seras le géniteur de la prochaine Impératrice. Tant que je ne le saurai pas, peu importe ta compétence –ou son absence-, tu auras un poste prestigieux. Tu es de Kivat, et donc travaillant. Tes résultats académiques sont plutôt bons, et les notes des instructeurs à votre Académie Militaire recommandaient de t’assigner à des unités de combat afin de confirmer ton potentiel. Ils voyaient donc en toi un officier capable de mener, et d’atteindre un haut rang. Il y a donc espoir que tu te montres un jour à la hauteur du poste que je te trouverai. »

Sur Kivat, le clan se chargeait habituellement de trouver un emploi pour un de ses membres, mais avec la réputation du clan en jeu, la personne était placée aussi bien que le clan le pouvait, dans un poste pour lequel elle avait les compétences requises. Ceci… c’était profondément humiliant. Je n’avais aucune compétence, aucune aptitude. Je détestais ce genre de traitement de faveur. « Je suis désolé. »

Il ria. « Les Aristocrates cherchent toujours à utiliser l’État pour placer leur progéniture dans des postes prestigieux. Mon Ministère semble être leur proie favorite, et je ne peux pas toujours dire non. Pour une fois, j’ai une personne avec qui j’arriverai peut-être à faire de bonnes choses. Et Arlenn ne me ferait pas cela si ce n’était important, alors… soit le bienvenu à mon Ministère. »

Son amusement manifeste ne me rendait pas plus confortable. « Je vais travailler très fort pour ne pas vous décevoir. » Une promesse. Malgré les louves, les activités, les diverses demandes sur mon temps, j’avais réussi à mettre en moyenne onze heures de travail, me gardant une journée de repos, pour faire les études recommandées par l’Ambassadrice. Elle m’avait accordé beaucoup de son temps, j’avais lu tous les livres, j’avais fait usage des connaissances profondes de Vaya en la matière. Entre elle et la renarde, il y avait beaucoup de choses que je comprenais bien.

« Hmm. Je détesterais voir l’Impératrice me malmener en réponse à un surmenage qui te rendrait… inutilisable. De toute manière, sur Kazin, les loups mâles n’ont pas le droit de travailler plus de 32 heures semaine, histoire de vous donner une chance de survivre au tout, de dormir de temps à autres. Les louves paient une cotisation spéciale afin que vous ayez tous un salaire décent. »

« Nous ne fonctionnons pas ainsi sur Kivat, » je lui répondis.

« Oui et non. Mais peu importe. Je m’attends à ce que tu gères bien ton temps. » Il me regardait, caressant son museau. « Je me demande… tu es un loup… j’ai peut-être une idée. »

« Ah? »

« Tu es un loup. Je n’ai qu’une poignée de loups mâles parmi le demi-million de personnes à mon service au travers de l’Empire, et j’en ai un qui m’est particulièrement utile. »

J’avais une petite idée de ce qui venait. « Ah? »

« Une manière pour toi de _vraiment_ gagner ton pain. Quatre mondes sur cinq sont dirigés par des louves. La plupart des litiges internationaux impliquent des louves, à un point ou à un autre. Deux directrices de négociations –des louves, bien sûr-, avec un loup mâle pour les modérer? Les encourager, les diriger… un loup dominant, qui saura récompenser les progrès… Tu pourras alors accomplir ton devoir de loup tout en travaillant. »

« Vous parlez de sexualité. »

« Oui. Un motivateur de succès très puissant pour les louves, surtout si les rumeurs actuelles qui courent à ton sujet sont connues par elles. Elles le seront. Je m’arrangerai pour que certaines des nuits que tu dois à l’État soient à ta disposition. Un tel travail de ta part… me serait profondément, totalement, et complètement utile. Il n’y a pas grand-chose de plus difficile à faire bouger que deux louves bornées campées sur leurs positions, et mon Ministère à trop de contentieux importants à régler pour que je ne te fasse pas cette offre. Si tu y as des aptitudes, je tuerais pour recevoir ce cadeau qu’Arlenn me fait en me demandant cette faveur. »

Un moment pour y penser. Je comprenais très clairement de quelle manière je pouvais être utile, et j’avais souvent vu comment deux louves dominantes et opposées, qui ne pouvaient se battre sur des points d’ordre professionnel, se tournaient souvent vers un mâle considéré neutre pour les aider à régler leurs différends. Ce qui était le plus difficile était de demeurer impartial. Il fallait aussi être prêt à subir les foudres des deux parties, mais ça, je n’avais pas de problème. Il me surprenait que l’Empire exploite l’angle de la sexualité… mais je me surprenais maintenant de ma surprise. Ce que l’Ambassadrice et Vaya m’avaient dit de l’empire révélait une machine profondément pragmatique et souvent amorale.

« C’est intéressant, » je lui dis, avec précaution.

Son sourire devint plus large. « Je suis heureux de voir que nous sommes d’accord. » Il se leva. « Ton équipe t’attend. Une équipe chevronnée, méticuleuse et pleine d’énergie. Ton bras droit est une mouffette nommée Venka. Vois la comme une sergent de grande expérience, et toi comme un lieutenant frais peint : tu commandes, mais elle suggère. Appuie toi sur elle. Si tu es sage, pour commencer, tu verras ses ‘suggestions’ comme étant le chemin à suivre. Elle te montrera les rouages. Je serai ton supérieur direct, mais je ne te cacherai pas qu’elle sera mes oreilles pendant ta période d’essai. » Il tendit la main, « très heureux que tu aies accepté. »

Je m’étais levé moi aussi, et répondit à sa main tendue de manière automatique. « Mais je n’ai pas- »

Il me coupa, secouant ma main avec cette vigueur des gens de Kazin, « mais si, mais si. N’aie pas de doute, fonce, et sers l’Empire. »

**

J’étais fatigué. J’avais dormi moins de quatre heures dans les deux derniers jours, mais j’avais aussi une énergie… surprenante. J’étais heureux.

Le Ministres des Affaires Impériales m’avait allègrement poussé dans les bras de Venka, se débarrassant de moi… mais je devais avouer que cette mouffette à l’humour noir m’avait impressionné par sa compétence. Elle ne semblait pas m’en vouloir, car il était manifeste que j’étais loin d’être de son calibre… mais je la dirigerais. Je lui en avais parlé, et elle avait résumé sa pensée en quelques mots : de par mon espèce et mon sexe, j’accomplirais des choses que la compétence pure n’arriverait jamais à faire. Son nom se trouverait associé à tout ça. L’attention du Ministre était sur elle, du moins en partie.

J’avais passé une partie de la journée avec cette diplomate d’expérience, et elle me guidait au travers des méandres bureaucratiques, s’assurant que tout était en ordre. Mon cas avait été traité avec un soin particulier –lorsque le bureau du Ministre était directement impliqué, les gens faisaient très attention- et la mouffette me faisait suivre une voie d’intégration écourtée et accélérée. Il en serait ainsi pour les jours à venir, allant des règles qu’il me fallait connaître, mes droits et privilèges, mes obligations, et ainsi de suite. Il y aurait plusieurs cours. Elle m’avait donné certains documents à lire pour que je me familiarise avec mon premier dossier. Les premiers cas allaient être relativement simples, afin que je me fasse la main.


**

Deux semaines. Deux semaines à étudier, travailler, à suivre des cours intensifs. Officiellement, une semaine normale durait 32 heures, mais Venka –mon bras droit- avait effectivement les attributs d’un sergent, et ne faisait que peu de cas des règles ennuyeuses se trouvant sur son chemin, et me tenait si occupé que je n’avais pas encore eu le temps de faire un peu de tourisme. J’étais heureux. J’étais libre. Je travaillais, avait la profonde impression que j’arriverais un jour à contribuer à l’Empire de manière substantielle.

J’étais heureux, mais ce qu’Aurore m’avait dit au sujet de la noblesse était vrai. Pas une des nuits dues à l’État ne fut passée avec d’autres louves que des louves de la Noblesse. Certaines étaient des partenaires agréables, mais la plupart arrivaient à m’irriter sans même essayer. La moyenne d’âge était aussi plus élevée.

Pas un signe d’Aurore depuis cette première nuit, et ça, c’était un soulagement. Il y avait bien une petite part de regret –avoir été choisi par l’Impératrice elle-même aurait été très flatteur-, mais je me disais que d’avoir été considéré parmi les meilleurs loups de l’Empire était déjà beaucoup.

Je voyais Vaya à l’occasion. Pas autant que nous l’aurions voulu.

Et puis on me confia mon premier litige. Un cas relativement simple, mais ou les deux parties étaient campées sur leurs positions et refusaient de bouger. Deux louves, bien sûr. Des négociatrices ayant mandat de régler une fois pour tout ce litige commercial opposant leurs deux mondes. Elles étaient cordiales, avaient fait appel à l’Empire pour arbitrer. Les intérêts de leurs mondes étaient trop grands pour laisser ce litige empoisonner leurs relations commerciales plus longtemps.

Le Ministre lui-même se chargea de m’introduire aux louves et à leurs équipes, les avisant que c’était ma première arbitration, et d’être gentil avec moi, ce qui fit rire tout le monde. Il ne dit rien d’autre, mais ces louves avaient une certaine imagination et arrivaient à lire entre les lignes.

Pour pouvoir arbitrer, il me fallait connaître le litige comme le dos de ma main. Cela me demanda deux semaines, malgré l’aide compétente de mon équipe. Je n’étais pas avocat. Il y avait des nuances et des complexités qui me donnaient des maux de tête. Tout était plus compliqué qu’il n’y paraissait au premier regard. Rien n’était totalement blanc, ni totalement noir. Les deux côtés avaient raison… et tort.

Une semaine de tractations, à aller d’une équipe à l’autre, à tâter le terrain, à chercher les ouvertures, à faire preuve de charme, de raison. À cajoler, tordre un peu les bras, à faire quelques erreurs, à me rattraper. Et au bout de cette semaine, le fruit de nos labeurs. Une entente, imparfaite, mais une entente. Une résolution du conflit. Un résultat concret. Une preuve que je pouvais dénouer des impasses. Un grand bonheur. Jamais je ne serais Légionnaire, mais j’avais de nouveau un but.

Ce soir la… deux louves que j’avais appris à connaître, deux louves modérément satisfaites, deux louves décontractées après un bon repas et de bonnes bouteilles, une soirée passée avec les trois équipes.

Jamais le sujet n’avait été abordé, mais j’étais le petit cadeau, la récompense pour un litige résolu. J’avais un budget pour ce genre de chose, et Venka s’était occupée de tout. Un condo luxueux, beau, dans l’un des plus grands édifices de la capitale, de forme triangulaire la ou le bâtiment formait un éperon, les murs extérieurs étant des baies vitrées qui donnaient le vertige. Les vents étaient inhabituellement calmes, la visibilité était très bonne pour Kazin, peut-être deux kilomètres, et nous pouvions voir les lumières d’une grande partie de la capitale.

Le condo était une seule, grande aire ouverte, et le lit était placé à l’extrémité de l’éperon, sur un plancher vitré qui donnait sur le vide. La tête savait qu’il n’y avait aucun risque, mais le cœur, les tripes avaient la certitude que de s’aventurer sur cette plaque de vitre fragile qui céderait certainement sous notre poids…

Je serrai les deux louves dans mes bras, puis, « on ferme les yeux et on avance! »

Des rires ayant juste une trace de nervosité… un petit moment d’hésitation en sentant le changement de surface sous nos pieds… et nous y étions, tombant sur cet îlot solide et rassurant qu’était le lit. Nous regardions par-dessus bord avant de revenir au centre du lit en riant. Aucun de nous n’était entièrement à l’aise. Mais l’effet était puissant. Des loups confrontés à un danger extérieur serraient toujours les rangs. Cela cassait aisément la glace. Nous nous rassurions l’un l’autre, nous cachions sous les draps pour ne pas voir… une tension fort plaisante, un danger perçu qui ramenait à l’avant certains instincts…

Des caresses, des baisers… une première ronde qui dura bien deux heures. Des discussions. De petits jeux, en récupérant. Un enhardissement. Et puis un défi, de l’une des louves à l’autre. Un défi relevé, la louve sautant vaillamment hors du lit alors que l’autre jurait de bon cœur d’avoir mal choisi son défi.

La louve s’avança, l’air de moins en moins certaine, monta la petite échelle, pour se retrouver sur les mains et les genoux dans la pointe même de l’éperon, une cage de verre à l’extrémité ultime du bâtiment. Je la voyais frémir, mais elle avait un bon courage.

« Un défi pour toi, Arkel. Viens. Viens me faire l’amour. » Elle me dit, d’une voix un peu rauque, très tendue, levant sa queue bien haut et vers le côté.

« N’y va pas, Arkel! J’entends des craquements! Reste avec moi! Tiens moi dans tes bras! » Mon autre compagne me dit cela en m’agrippant. Mon rire avait une touche de nervosité, mais je me libérai, puis me dirigeai vers cette louve attirante qui faisait preuve d’un courage pervers. Le genre de courage qu’un loup ne savait résister.

J’avançai dans le vide. La nuit, nos lumières éteintes, la vitre était pratiquement invisible. Les sens… étaient faussés, les instincts les colorant. J’avais peur, mais de ce genre de peur qui excitait, aguichait. Je ne regardais pas en bas, fixant mon objectif, cette louve avec la queue bien levée. Était-ce à dessin? Ici, à cette extrémité, je ressentais le vacillement inquiétant du bâtiment sous l’effet du vent. Un effet normal, mais qui était pleinement ressenti à cet endroit.

Et puis j’atteignis ma compagne, prenant position derrière elle, la couvrant, tenant fermement ses courbes solides, rassurantes, et je l’entendis soupirer de soulagement.

Kio! Qu’elle était serrée! Tendue comme de la corde à piano, son sexe étreignant le mien. Notre autre partenaire nous regardait, murmurait des mots pour nous faire peur, s’exclamant parfois, mais je n’y portais aucune attention. J’étais très proche, en ce moment, de cette louve qui était sous moi. Trop proche. Je voulais profondément la rendre enceinte, je la voulais à mes cotés pour longtemps, une réaction instinctive, pas du tout rationnelle. Je sentais que la même chose allait pour elle. Le partage du danger…

J’imaginai que c’était Vaya, sous moi. Il me faudrait vivre cette expérience ou une similaire avec elle. Je lui faisais l’amour, comme si c’était Vaya, avec une douceur fougueuse, une tendresse brûlante. Je faisais l’amour à ma partenaire comme jamais un loup ne lui l’avait fait, et elle répondait. Oh! Qu’elle répondait!

Le Loup 14

 

ŠLE CERCLE BDSM 2006