Histoires Des Invités

 

Le Loup 5

Par Arkann

 

« Arkel…! »

Il y avait une drôle d’intonation dans la voix de ma mère qui me mena à descendre rapidement l’escalier. J’avais entendu la sonnette, mais…

Je manquai presque la dernière marche en voyant qui était présent.

« Bonjour, Citoyen. » La voix enjouée appartenait à une renarde vieillissante, élégamment vêtue, et qui était reconnaissable en un clin d’œil même si je n’avais jamais été en sa présence.

Un moment d’hésitation. « Votre excellence….» Etait-ce bien la bonne manière d’adresser une ambassadrice? Impériale, de surcroît? Ma mère avait une expression neutre, cette expression que je l’avais vu arborer en de très rares occasions, généralement lorsqu’elle était surprise et n’était pas trop sûre de ce qu’il fallait faire. Que faisait l’Ambassadrice de l’Empire ici??

Elle était courtoise, et ce n’était probablement pas la première fois qu’elle faisait face à des gens un peu dépassés.

« Je m’excuse de ma visite impromptue, et j’espère qu’elle ne vient pas à un mauvais moment, mais nous avons des choses à discuter, vous et moi, Citoyen.  Peut-être pourrions nous passer au salon? » Elle me regarda moi, ne laissant aucun doute qui était ce Citoyen avec qui elle devait discuter, mais elle regarda aussi ma mère, pour obtenir son assentiment.

Comme s’il y avait quelque manière de refuser un requête de la représentante directe de l’Impératrice.

« Mais bien sur, » ma mère répondit, souriant, sachant maintenant quoi faire. Elle jeta un coup d’œil à sa garde, qui s’était déployée à l’extérieur, mais il était clair qu’ils ne rentreraient pas. Elle nous mena donc au salon, s’assura du confort de la renarde, qui accepta son offre pour du thé. Quant à moi, j’étais un peu trop sidéré pour faire autre chose que de m’asseoir.

Elle m’offrit un sourire désarmant, mais il était difficile de désarmer face à Arlenn Kerzah, qui était la mentor particulière de l’Impératrice, dépêchée ici de toute urgence il y avait maintenant un peu plus de cinq ans suite à la désastreuse performance de l’ambassadrice précédente, qui avait réussi le tour de force de se mettre à dos l’opinion publique du monde le plus loyal de l’Empire.

« Vous avez de nombreuses questions, je suis certaine, mais vous ne les poserez pas, alors je vais répondre à ces questions qui fourmillent. » Elle était amusée –sans aucune surprise- de mon mutisme poli.

« J’irai droit au but : vous possédez la Croix de Sivant, » elle me dit, jetant un coup d’œil à mon épinglette. « L’Empire désapprouve fortement la pratique Darwiniste de votre monde, particulièrement lorsqu’elle est appliquée aux loups mâles. L’Empire est aussi hautement pragmatique : votre espèce est en danger, doit être préservée, et la Croix de Sivant prouve que vos gènes sont… plus que désirables, parmi les meilleurs de tout l’Empire.  D’une manière ou d’une autre, l’Empire trouve le moyen d’engager la plupart des détenteurs de la Croix de Sivant et de faire profiter au reste de l’Empire ces gènes si chèrement sélectionnés. Lorsqu’il s’agit d’un loup, vous comprendrez que nous redoublons d’efforts. »

Elle sourit. « J’ai une offre d’emploi pour vous. Votre prix sera le mien, votre clan sera dédommagé, mais les quatre nuits par semaine que vous devez à l’état seront dépensées avec les personnes choisies par l’Empire. Le poste que j’ai en tête pour vous demandera un séjour à l’Académie Militaire de Kazin afin de terminer votre formation. En autant que vous soyez toujours compétent –je n’en ai aucun doute- et que vous passez les tests d’admission, vous obtiendrez le grade de Lieutenant dans l’un des corps d’élites Impériaux de votre choix. Comme vous serez déployé sur divers mondes, il arrivera souvent que vous ne serez pas assigné à une unité de combat, mais vous aurez un poste réel d’Attaché Militaire, ou encore de Conseiller Militaire. De vraies responsabilités, de vraies possibilités d’avancement et, parfois, une assignation à une unité de combat. »

Son sourire était grand, « si vous avez une meilleure idée, si vous voudriez autre chose, dites le moi, et je vais voir ce qui peut être fait. Nous tenons à vous avoir à notre service, » elle dit, avec une fermeté de ton et de langage corporel qui ne laissait aucun doute.

Une offre irrésistible, impossible à refuser. Mais il n’y avait qu’une seule réponse possible.

« Non. » Je saignais en prononçant ce simple mot, mais j’étais en probation, je le serais pour longtemps, et m’exiler serait perçu à juste titre comme une fuite par la société.

« Votre Agent de réinsertion, Citoyen Tokel, m’avait prévenue que telle serait votre réponse. Il ne vous a pas parlé de notre conversation, à ma demande expresse. Laissez-moi être cruelle, et bonifier mon offre. »

Elle le fit. Mon clan y trouverait plus que son compte, et ma famille aussi. Ma mère arriva avec le thé, servit. En cours de route, elle me donna un regard, un regard que je connaissais : ne pas accepter, pas au nom de la famille ou du clan. Mon refus allait priver ma famille de beaucoup. Tant pis.

J’interrompis l’Ambassadrice, une chose quasi impensable. « Votre Excellence. Quoique vous m’offriez, la réponse sera toujours non. »

Cela ne paraissait aucunement, mais un instinct me disait que mes paroles venaient de la contrarier plutôt vivement.

« Soit, Citoyen. » Son sourire n’avait pas glissé un seul moment, mais cet instinct me parlait d’une certaine aigreur. Même si c’était une espèce très dure à lire lorsque ceux-ci le désiraient, j’avais toujours été bon pour lire les renards, même si je ne pouvais nommer un seul de ces signes qui me le laissaient savoir.

Elle se leva, après avoir goûté le thé et complimenté ma mère. « Vous n’êtes pas sans connaître ma réputation, Citoyen. Je ne laisse jamais tomber, je trouve toujours une solution. L’Empire perd des batailles, mais gagne ses guerres : je vous fait cette promesse, Citoyen : vous travaillerez pour l’Empire. » Elle me tendit une main, et je la serrai. Puis, après ses remerciements auprès de ma mère, elle quitta.


**

Le cerf était assit en face de moi, savourant un thé d’importation terrienne. Un achat spécial que ma mère avait effectué le matin même, témoignant de l’estime qu’elle avait pour mon Agent de Réinsertion. Un thé provenant de la Terre, énormément cher. Mon thé n’était que le thé normal et, si elle en avait d’autre, il serait sans doute réservé pour le cerf, ou encore l’Ambassadrice si celle-ci revenait. Certainement, après son passage, ma mère nous avait tous mis à l’œuvre pour s’assurer de l’état déjà fort présentable des lieux.

« Tu n’auras pas d’emploi chez IMK, » il me dit, d’entrée de jeu. « Ce n’est pas une surprise, ça a presque marché, mais… » il haussa les épaules.

« Je vous remercie. Je ne fondais aucun espoir sur ce travail, » je lui répondis, en mentant un peu.

« Le travail au Parc National de Kundu, il t’intéresse toujours? »

« Oui. »

Il tint mon regard pendant un temps. Nous n’avions pas parlé de l’Ambassadrice, de ses offres, et nous ne le ferions pas. Il y avait un petit sourire approbateur sur son museau, cependant. Ce sourire… valait beaucoup pour moi.

« Bien. Tu commences dans six jours. » Il me tendit un dossier. « La liste des équipement suggérés. Les horaires de train. Les numéros de téléphone. Ton contrat. Ton premier passage n’est pas payé. Tu devras arriver un jour à l’avance car il n’y a pas de service ferroviaire le dimanche. Tu devras trouver quelqu’un qui puisse t’héberger car il n’y a pas d’hôtel. Mon contact s’est arrangé pour qu’on vienne te chercher à six heures du matin. Trois heures de route, alors un petit cadeau d’appréciation pour ton conducteur serait bon. »

Je jetai un coup d’œil sur la liste des équipements, confirmant ce que je croyais. M’équiper allait être dispendieux, et quoique ce ne fût pas indiqué, être chef d’équipe voulait dire qu’il me faudrait avoir quelques pièces d’équipement supplémentaires pour aider les étudiants trop mal équipés qui allaient être à ma charge.

Malgré cela, malgré l’offre mirobolante qui m’avait été faite le jour avant, je me sentais presque léger. L’un des plus gros pas sur le chemin de la réinsertion était d’obtenir un emploi.

« J’y serai. »

**

« Citoyen Arkel, nom retenu, loup, veuillez vous présenter au comptoir d’informations. Citoyen Arkel… »

Le son provenant des vieux haut-parleurs était dur à bien entendre avec les bruits d’une gare bondée, mais j’avais néanmoins compris. J’arrivai à supprimer le vil juron qui voulait passer mes lèvres : j’avais offert de mon temps pour une seconde chasse aux Chasseresses du Bois Bleu, avant de partir pour mon nouveau travail, et cette offre avait été acceptée. La chasse avait été très rude, m’avait laissé boitant et avec une côte fêlée. Me rendre jusqu’au quai avec mon sac à dos avait été un calvaire, et je devais maintenant revenir.

Mais on m’avait appelé, et ceci n’était fait que pour les cas importants.

Il y avait une antilope à coté du comptoir, portant un uniforme de Légionnaire et l’écusson indiquant la garde présidentielle à l’épaule droite. Elle était Lieutenant, et portait une expression sévère. Elle me vit, regarda sa montre délibérément. J’aurais grincé des dents, mais j’étais à peu près certain qu’elle n’avait pas encore remarqué mon état. Impression confirmée quelques instants après, son air sévère s’estompant.

« Citoyen Arkel, nom retenu? » Elle me demanda. Une simple formalité.

« Oui, Lieutenant. »

Elle regarda mon brassard, puis mon épinglette, afin de bien confirmer. Elle remarqua la dernière marque, visiblement fraîche, indiquant que j’avais participé à une chasse, et que je n’avais pas été capturé. Elle fit la connexion avec mon état.

« Laissez moi votre sac, Citoyen. Nous avons peu de temps. » Elle me dit cela avec un sourire.

Si le temps était compté… elle épaula mon lourd sac sans broncher. « Dure chasse? »

« Assez, oui. Une jument un peu trop fougueuse ne connaissant pas sa force, un peu de malchance. Un accident est vite arrivé. »

Elle hocha de la tête, souriant. « Bois bleu, ou Forêt Noire? » La barre se trouvant dans l’anneau inscrit sur mon épinglette ne laissait que deux choix possibles.

« Chasseresses du Bois Bleu. J’ai participé à un certain nombre de chasses dans ma vie, mais ces Chasseresses sont… très difficiles à éluder. »

« Avec raison. Elles prennent les meilleures des meilleurs clubs. » Une complainte commune, sans chaleur, comme se plaindre du mauvais temps.

Elle menait bon pas, vers un petit véhicule tout terrain sans habitacle. Le genre de véhicules à quatre roues motrices qui pouvait tracter un canon ou transporter cinq soldats : confort minimal, mais efficacité garantie.

« Où allons nous? Il y a un train que je ne peux manquer… »

« Vous devrez le manquer, Citoyen, sur ordre du Premier Ministre. » Elle déchargea mon sac sur le siège arrière et s’installa au siège du conducteur. Je n’avais d’autre choix que de m’asseoir au siège du passager.

« Est-ce qu’une raison a été donnée, Lieutenant? »

« Non, Citoyen. J’ai ordre de vous ramener le plus vite possible. » Et, ce faisant, elle trouva d’une main, sous le tableau de bord, le bouton signalant une urgence. Immédiatement, les feux et les phares commencèrent à signaler selon le protocole d’urgence. L’ordinateur de bord allait signaler aux feux de circulation de changer afin de donner priorité au véhicule. Chaque véhicule sur Kivat possédait un tel système, et son abus était un crime sérieux.

La gazelle conduisait rapidement, mais tout de même avec précaution, concentrée sur sa tâche. Pour ma part, je veillais au grain, comme il m’avait été enseigné dans l’armée, afin d’identifier des risques que le conducteur pouvait ne pas avoir vu. Quelques minutes plus tard, nous étions presque rendu au complexe gouvernemental, et la gazelle désengagea le système d’urgence : ici, même les ambulances devaient être inspectées.

Des Légionnaires aguerris, vêtus et armés pour le combat, contrôlaient toutes les approches de cette partie de la capitale. Des clôtures électriques, des fils barbelés, des bunkers, des miradors, des nids de mitrailleuses… je savais que la zone entre les deux dernières clôtures était minée, même s’il n’y avait aucune indication à cet effet.

Même s’il n’y avait pas eu d’incident sérieux depuis des siècles, les Légionnaires ne badinaient pas sur les questions de sécurité. Les vérifications prirent peu de temps, mon sac à dos laissé à la guérite, et un badge que je devais porter en tout temps me fut donné.

Le complexe gouvernemental avait été construit en un temps ou ceux qui avaient fait la guerre vivaient encore. Des bâtiments en béton armé, avec pour toute fenêtre des embrasures pour les fusils, étaient éparpillés et empilés en un dense labyrinthe de blocs. Un ennemi voulant s’emparer du complexe aurait à se battre au combat rapproché pour gagner son accès à l’important complexe souterrain qui avait été construit ces derniers siècles. Tout ennemi sensé utiliserait sans doute une arme nucléaire, ou encore un impacteur cinétique, mais un tel ennemi ne pouvait le faire sur une échelle planétaire s’il voulait conserver une planète valant quelque chose, et toutes les infrastructures gouvernementales importantes étaient ainsi.

Deux postes de contrôle plus tard, et nous étions arrivés. La Lieutenant me mena à une porte qui ne portait aucune indication, utilisa une carte à puce pour activer un ascenseur, et une trentaine de secondes plus tard, nous étions au bureau du Premier Ministre. L’antichambre était décorée chaleureusement, avec goût. La secrétaire nous sourit, puis prit le téléphone. « Le Citoyen Arkel est arrivé… …très bien. »

Elle me fit un signe vers la porte. « Il vous attend. »

J’étais un peu nerveux, et j’ouvris la porte. La lumière était faible, le bureau plongé dans une certaine obscurité. Au mur nord, il y avait une carte ancienne du Marais de Kundu, un peu rongée par la moisissure, portant encore les taches de boue et de sang provenant tout droit d’une autre époque. Le sang était celui du général Zevar. Pratiquement tous les loups de Kivat pouvaient le compter comme l’un de leurs lointains ancêtres.

Une bibliothèque fournie couvrait le mur est, et une carte courante du monde couvrait le mur sud. Et à l’ouest, un bureau de chêne. Derrière, un rat aux yeux noirs globuleux. Je ne l’aimais pas, je n’avais pas voté pour lui aux dernières élections, mais il était très compétent. De mon coté de son bureau, Arlenn Kerzah. La renarde portait un sourire mordant. Le rat semblait furieux. Il y avait une odeur flottant dans l’air qui m’avisait que ces deux la avaient eu des mots acrimonieux, à tout le moins.

« Garçon. Tu t’assoies, tu écoutes. Pas un mot. » Il ne me regardait pas, dévisageant avec hargne l’Ambassadrice, me montrant un siège d’une main.

« Ah, bonjour Citoyen. Nous parlions justement de vous, » la renarde me dit, avec un sourire plein de bonne humeur. Mais je sentais combien il était faux. J’étais bien heureux de l’ordre du Premier Ministre. Je pris un siège, fit tout mon possible pour être invisible.

Pendant un long moment, le rat et la renarde se dévisagèrent mutuellement. Mais je sentais la tension se relâcher. Puis le rat se tourna vers moi.

« Tu vas voir l’Empire, mon garçon. Pas de mais, pas de si : tu y vas. Tu y vas, parce que tu vaux plus pour Kivat au service de l’Empire que travaillant à l’entretien d’un parc. Tu y vas, car je ne veux pas que le Directorat te kidnappe un bon soir sans au moins payer pour tes services. Pour ton information, Kivat en tirera un bénéfice modeste. »

La renarde cliqua des dents, un peu comme si elle arrachait la gorge du rat. « Modeste!? C’est de l’extorsion. Puis tu as cette faveur « pour considération future ». Et n’oublions pas cette modification aux Lois sur les Mercenaires qui va donner tout un avantage aux Légionnaires. Modeste!? Mon cul! »

Elle semblait vraiment offensée. Je ne savais pas qu’il était permis à un Ambassadeur de faire usage d’un tel ton, d’un vocabulaire comme le sien. Il me semblait encore moins plausible que le Premier Ministre de Kivat puisse regarder ainsi l’Ambassadrice Impériale. Ou faire usage d’un ton aussi dur.

« C’est Kivat, ici, Arlenn. Je peux faire beaucoup. Je peux même lui ordonner de prendre ton offre sans explication, le forcer à porter le poids du jugement des autres. Je peux lui enlever le droit de rebâtir son nom de manière honorable. Puisque c’est moi qui l’ordonne, l’humiliation est mienne. » Un moment, et je sentis combien il se retenait.

Puis, « La République de Kivat est offensée par l’idée que l’Empire puisse agir ainsi, par simple avarice et arrogance. Il y à d’autres manières avec laquelle ce dossier aurait pu être traité. Les conséquences personnelles pour le Citoyen Arkel sont lourdes. Alors tu la fermes, Arlenn. Tu as une entente comme seule une âme aussi avare que toi est capable d’obtenir de moi. »

La renarde ne répondit pas, et le rat se tourna de nouveau vers moi. « Bon, mon garçon, ne t’en fais pas trop. Mon bureau va s’occuper des détails. Ton Agent de Réinsertion saura que c’est mon ordre qui te mène loin de Kivat. Nous allons arranger les choses avec le Parc National de Kundu. Tu auras une lettre indiquant que tu vas, sur ordre. Ton clan, j’en fais mon affaire. L’entente comprend un dédommagement pour ton clan, et ta famille. Pour ce qui est de ton entente avec les Chasseresses du Bois Bleu, » son sourire était carrément vicieux, « c’est l’affaire d’Arlenn. Elle s’occupera de s’assurer que ni tes sœurs, ni le club n’y perdent au change.  Ton contrat dure trois ans. »

La renarde me donna son sourire habituel, « j’ai négocié un petit cadeau pour toi, Citoyen, histoire de te présenter mes excuses : à chaque trois ans que tu renouvelles ton contrat, tu auras une barre sur ton épinglette pour marquer un étape de réinsertion. Ça ne te prendra que douze ans pour laver complètement ton nom, au lieu de vingt. »

Le rat lui donna un regard mauvais. « Un cadeau? Tu vas le tenter à rempiler avec un appât impossible à résister. Manipulatrice! »

La renarde sourcilla momentanément, mais contra avec, « la meilleure entente est celle ou tout le monde à quelque-chose pour elle. » Un regard carnassier dirigé vers le rat. « Fais juste prétendre que tu n’aimes pas l’entente comme elle est, et je te promets que le Directorat ne le touchera pas. Carotte pure, aucun bâton. Ma parole. »

Le rat avait l’air irrité, mais n’essaya pas. La renarde se leva. « Je te remercie, Rexam. Une autre bonne résolution. Tu vois ce que deux personnes de bonne volonté peuvent faire? » Un ton narquois.

« C’est ça. Assure toi juste que le Directorat n’y touche pas, et que la Secte ne me l’assassine pas. »

La renarde lui offrit son sourire habituel, gratta la surface de son bureau des griffes d’une main, puis, « Viens, Citoyen. Il est temps de t’introduire à ta nouvelle vie. »

Je n’avais pas dit un mot.


**

Mon contrat était… impossible. J’étais avec l’Ambassadrice. Elle avait pris sur elle de m’expliquer sa portée, de long en large. C’était trop beau pour être vrai. Et pourtant…

Mon salaire serait équivalent à celui d’un colonel… en plus du salaire qui serait mien pour le poste que j’occuperais. Un grand nombre de privilèges et d’avantages sociaux. Je ne pouvais aisément chiffrer certaines de ces choses.

Elle était amusée. « Arkel, tu penses que le salaire d’un colonel de la Légion, c’est beaucoup. Pour Kivat, ça l’est, mais il est moins grand que le salaire d’un simple soldat sur Kazin. Pour le reste des privilèges et avantages sociaux, c’est assez standard. Et puis, tu fais partie de la bureaucratie impériale, maintenant, et tu vas devoir… comment dire… être moins provincial en apparence. Tout est cher, Arkel. Ton salaire sera adéquat, bien sur. Non, ce qui est coûteux, c’est ce qui est hors de ton contrat. Disons que ton monde loue tes services à un prix ridiculement élevé. Il n’y a qu’un rat comme votre Premier Ministre qui puisse me manœuvrer ainsi. Indécent. L’Impératrice aura certainement de vilains mots à me dire.»

Elle ne semblait guère inquiète.

« Pourquoi autant de trouble? N’importe quel autre loup de Kivat aurait fait l’affaire, non? »

« Ce n’est pas n’importe quel loup qui possède la Croix de Sivant. L’autre est déjà à notre emploi. Et puis… disons que tu seras profitable. »

« Profitable? »

Elle sourit. « Bien sur. Nous allons te déployer sur les mondes qui paieront un prix assez élevé, pour tes services. Sur la plupart des mondes, ton espèce à une influence importante, lorsque vous ne contrôlez tout simplement pas ces mondes. Un loup avec ton bagage génétique? Il va y avoir du sang dans l’eau. Oui. Profitable. »

Je n’étais vraiment pas confortable. « Je ne suis pas une marchandise. »

« Un Légionnaire dont les services sont retenus par un autre monde n’est-il pas une marchandise? »

Kivat était un monde pauvre en tout. Les armes et nos armées étaient nos principales sources de revenu. « C’est différent. »

Elle secoua la tête. « Pas du tout. Le mécanisme est le même. Ce n’est pas un régiment dont les services sont retenus, mais un seul loup. Quoiqu’avec le prix usuraire payé, je me demande. »

Elle voyait mon expression pas du tout heureuse. « L’Empire n’est pas une œuvre de charité, Arkel. Ça prend de l’argent pour donner aux amiraux les jouets qui convaincront des mondes réfractaires de continuer à payer leurs taxes. Mais je te dirai ceci, et cela devrait plaire à ton âme communiste : tu seras aussi dispendieux à engager par un monde riche que pour un monde pauvre. Ton prix sera ajusté en considération des moyens de payer. Un prix dérisoire pour un monde tel Antioche, un prix faramineux pour un monde comme Shavayan. »

Shavayan. Notre ennemi idéologique. Tentait-elle de me provoquer? L’idée même de me retrouver sur un monde aussi infâme m’était répugnante.

« Nous ne sommes pas communistes. »

Son sourire ne fléchit pas. Puis, « certains de ces mondes vont t’assigner aux amis du pouvoir. D’autres fonctionnent par loterie. D’autres, comme vous le faites ici. Toutes les manières existent. La méthode n’est pas importante. L’important, c’est que tu fasses tout plein de beaux petits loups, tout partout. »

Aucune surprise sur ce point. Puis, une question qui me trottait dans la tête depuis notre première rencontre. « Pourquoi vous occupez-vous de ceci? Pourquoi pas un assistant quelconque. »

Rien ne paraissait sur son expression, mais je la sentais satisfaite. « Il est dit par de mauvaises langues que l’Impératrice provient plus de Kivat que de Kazin. C’est faux, bien sur, mais il est vrai que beaucoup des ancêtres –son père, même- de l’Impératrice étaient des mâles provenant de ton monde, dotés des meilleures gênes disponibles. La plupart avaient la Croix de Sivant ou l’une de vos plus importantes distinctions militaires. Pourquoi se passer du meilleur que l’Empire puisse offrir? »

Son sourire devint dur, « ne va pas t’imaginer des choses, cependant. Jamais l’Impératrice ne s’accouplerait avec un traître. Pas que je ne laisserais une telle personne s’approcher d’elle. Tu es un leurre, pour détourner l’attention. Mon implication sera notée, l’attention détournée des deux ou trois mâles potentiels. Il n’y aura que quatre personnes, pas même le mâle en question, qui sauront qui est le géniteur du premier enfant de l’Impératrice. Je t’aime bien, Arkel. Je sens que tu es maintenant un loup honnête. Je vais t’utiliser : tu verras que ce n’est pas facile, que ça peut être dangereux, mais je vais te payer, en te formant un peu, en t’ouvrant des portes.

Une réponse qui faisait plus de sens que celles imaginées.

« Dangereux? »

« Les loups ont leurs ennemis. L’Impératrice en a encore plus. Tu feras une cible tentante. Tu seras protégé en conséquence. Tu voulais devenir Légionnaire. Cela, je ne peux te l’offrir, mais tu pourras servir l’Empire de manière plus cruciale, et toute aussi dangereuse. Mais tu verras que ton pire ennemi sera le journaliste. »

« Le journaliste? » Lors de mon procès, j’avais souvent eu à parler avec les journalistes, et ces personnes étaient comme les autres, très polies et respectueuses.

« De viles sangsues en soif de sensations. Des piranhas qui ne connaissent pas la satiété. Des parasites qui ne connaissent aucune limite. » Elle disait cela d’un ton passionné. « Ces cinq dernières années ont été une vacance précieuse. Mais tu vas voir. Nos journalistes ne sont pas contrôlés par le gouvernement comme ici. Ils sont libres de tout. Ils créent la nouvelle. Je les enverrais tous au poteau, mais cela causerait une révolution, car nos citoyens ne peuvent se passer de lire les potins sur les gens riches et célèbres. Enfin. Je ne veux pas te faire peur, alors n’en parlons plus. »

« En passant, tout ce que je t’ai dit, c’est secret d’état. Pas un mot à personne. »

Un hochement de tête. Secret d’état. Elle savait qu’un Citoyen de Kivat ne parlerait pas s’il le savait.

Elle me regardait avec une expression sobre. Je sentais comment, depuis qu’elle m’avait rencontré, elle m’évaluait constamment.

« Il n’est pas requis de me répondre maintenant, mais l’emploi que je t’offrais, il te convient? »

J’y avais pensé, chaque soir avant de dormir, depuis notre rencontre. « Non. Servir comme soldat sous des couleurs autres que celles de Kivat, même pour l’Empire… » Je secouai la tête. Dans d’autres circonstances, peut-être, mais pas avec celles qui étaient miennes.

« Attaché Militaire, c’était bien, mais je n’ai pas l’expérience requise, loin d’avoir les connaissances. »

Elle sourit, « les connaissance peuvent être acquises. L’expérience se gagne. Si tu es junior pour commencer, ça ira. »


**

Nous étions assis dans un restaurant assez populaire, très peu cher. Bruyant, l’heure du lunch, et toutes les tables étaient occupées. Le lapin assit devant moi avait demandé à ce que l’on se rencontre, à cet heure. Il avait changé de restaurant au dernier moment.

Il venait de finir de me raconter comment son clan lui avait ordonné d’abandonner l’enquête visant à me prouver innocent. Le bureau du Premier Ministre avait contacté le clan. Avec mon nouveau rôle, il aurait été embarrassant pour Kivat qu’un citoyen en réinsertion continue à nier ses actions. Le clan allait bien naturellement être dédommagé.

C’était un coup dur. Je comprenais pourquoi il avait tenu à me le dire, lui-même.

« Vous allez laisser tomber mon dossier. »

Il hocha de la tête, tristement. « Je n’ai pas le choix. »

Comme tout Citoyen, il avait fait son service militaire, connaissait le langage des signes. Sa main, cachée des yeux de tous, me fit le signe pour « Non ».

Un soulagement. Mais… pourquoi tant de secret? Pensait-il que nous étions observés? Personne sur Kivat ne violerait notre droit à la vie privée, pas sans une ordonnance de la cour. Et comme nous ne faisions rien d’illégal, un juge aurait rejeté une telle requête. Étais-je naïf? Comment le Premier Ministre avait-il su? Il ne faillait pas tomber dans la paranoïa. Il y avait certainement une explication raisonnable.

Le lapin continuait à m’exprimer sa déception de devoir m’abandonner. Puis, « Stanza était très triste de l’apprendre. Elle aurait bien aimé continuer à vous voir. Peut-être pourriez-vous continuer à la voir, malgré tout, les fois où vous reviendrez sur Kivat? »

Son prix pour continuer à ses propres frais, clairement énoncé, fort raisonnable. « J’aime bien Stanza. Je la reverrai. »

**

Dans quelques heures, je m’envolais pour l’espace. Pour les trois prochaines années, je ne reverrais pas ce monde que je n’avais jamais quitté. Crainte, désir, curiosité… je ne serais probablement plus la même personne lorsque je reviendrais. C’était bien.

Un brin de mélancolie, les mains sur le garde-fou du balcon, observant les lumières de la ville en fin de nuit. Autour de ma taille, les bras de Stanza, sa poitrine contre mon dos, son museau accoté sur mon épaule droite. Un loup était monogame de nature. Les circonstances le voulaient autrement. Il était bon d’avoir une louve qui me connaissait mieux que les autres, dont je me souviendrais encore du nom, de l’odeur, dans vingt ans. Nous allions nous revoir, c’était certain.
Une de ses mains s’égara vers le bas. De délicates caresses. Un éveil, malgré une longue nuit d’efforts.

« Une dernière fois. Pour la route. » Un ton amusé, un mouvement de son bras me gardant captif, me tirant vers la chambre à coucher.

Je me laissai guider, bien volontiers.

C’était l’appartement familial de sa famille. Elle avait partagé, bien entendu. La chambre de sa mère, qui nous regardait revenir. Ronflant à ses cotés, l’une des sœurs cadettes de Stanza, repue, épuisée. Ça allait me prendre un jour ou deux pour m’en remettre.

La mère de Stanza –une ombre dans la nuit- caressait un endroit à coté d’elle, m’indiquant ou venir. Une main qui guidait. Sur le dos. Assez d’espace pour Stanza. Mère et fille, me travaillant en tandem. Caresses et lèchements. Je voulais bien participer moi aussi, mais on me fit comprendre très vite de rester tranquille, de me laisser faire.

Une mère bien expérimentée qui avait monté quelques trucs à ses filles, et qui le faisait encore maintenant. L’éveil se confirma, se raidit. Lentement, mais sûrement. Un dernier effort. Stanza pouffa de rire à un chuchotement de sa mère. C’était probablement bien de ne pas avoir compris. Le rire réveilla la sœur de Stanza… et j’avais bientôt trois louves juste à moi.

Sans bouger, sans rien faire, me laissant faire. Lorsqu’elle fût satisfaite, la louve dominante –la mère, naturellement- me chevaucha, une main me guidant à son sexe. Stanza était la raison pourquoi j’étais ici, mais elle avait eu sa juste part. La louve me glissa en elle avec un soupir de contentement.

De doux mouvements. J’en fis un, pour lever ma tête, afin d’atteindre de ma langue ces seins si tentants, mais elle me donna une petite tape sur le museau. Il est vrai que j’avais bien abusé de ces mamelons qui étaient sa petite faiblesse, très sensibles.

« Aidez moi un peu, les filles, » elle dit, d’une voix douce. Après cette nuit mouvementée, ce dernier effort ne viendrait pas sans un certain travail. Mon corps protestait, même si je désirais ceci, vivement. Un museau se glissa entre me jambes entrouvertes, ce saisit de mes couilles, alors que deux mains me caressaient. Stanza, quant à elle, me tourna la tête, pour m’embrasser, me voler mon souffle.

Rien à faire d’autre que de souffrir ce délicieux tourment. Les mains de ma louve, agrippant le poil de mes flancs. Son plaisir venait manifestement plus vite que le mien. Il est vrai que dans cette position, c’était comme si elle m’était dominante, imposait sa volonté sur un puissant mâle, un fantasme commun parmi les louves, et la raison pourquoi je devais me battre au moins deux fois par mois pour me défendre des excès. Entre amis, je n’y voyais pas d’inconvénient.

Elle parlait, les yeux fermés, marmonnait. Je pouvais comprendre quelques mots, mais pas assez. Stanza, par contre… elle arrêta de m’embrasser, regarda sa mère avec une expression fascinée sur sa face, comme si elle la découvrait pour la première fois. Comme si cela la surprenait que sa mère puisse avoir des fantasmes. Il y avait maintenant une certaine vigueur dans ses mouvements, une insistance. Ses doigts s’enfonçaient dans ma fourrure, ses griffes me grattaient. Stanza mit ses mains sur mes oreilles, comme pour m’empêcher d’entendre les paroles de sa mère, toute embarrassée. La sœur de Stanza, elle aussi, avait arrêté.

Je voulais rire, mais ça n’aurait pas été approprié. Je pouvais deviner. J’avais été avec tant de louves, toutes différentes, et j’avais été exposé à beaucoup de fantasmes parfois singuliers. Mon soupçon devint certitude lorsque je murmurai quelques mots appropriés, avec le ton requis, et que je la sentis réagir avec un désir renouvelé. Plus fort, plus dur. Sans ménagement. Maintenant qu’elle savait que je savais, et que je jouais le jeu… elle s’y abandonna. Je pouvais imaginer le choc de Stanza.

Dérivé d’un livre, ce fantasme, et beaucoup de louves l’avaient lu. S’il m’était donné d’un jour partager encore son lit, je m’arrangerais pour avoir un décor de circonstance… Je jouais mon rôle avec perfection, proférant menaces et autres promesses, tentant de la mordre, me débattant sans résultat probant. Un démon à forme de loup, forcé par la magie à se soumettre à une enchanteresse voulant lui voler sa semence, afin de devenir enceinte… effectivement violé par la magicienne, blessé dans son amour-propre, résistant la contrainte de la magie avec toute ses forces…

Elle n’était pas encore très vieille. Je ne savais pas si elle en était encore capable, mais l’idée de donner à Stanza une petite sœur était à la fois amusante et excitante.

La louve se laissait aller, criait des incantations alors que je grognais les miennes. Elle se débattait, travaillait mon membre abusé. Dans le livre, plus long l’acte, plus les chances de perdre le contrôle étaient grandes. Elle se démenait, mais… petit à petit, ma résistance devenait plus efficace. Des promesses, de lui donner ce qu’elle voulait, que dans quelques minutes, elle me sentirait jaillir en elle. Mais pas dans son vagin. Sous la queue, sans ménagement.

Un beau combat, qui en devenait presque réel, car je sentais comment j’allais durer assez longtemps. Puis elle tricha.

« Les filles! » Elle commanda, d’une voix étranglée.

Deux louves me saisirent les bras, les plaquèrent au lit. Elle me donna un sourire prédateur. « Hors de question que ça se passe comme dans le livre. »

Elle prit son temps, me tourmenta. Sous les caresses, sous les lèchements, avec l’étreinte mouillée d’un vagin bien chaud… un loup ne pouvait résister indéfiniment. Je poussai un hurlement sauvage, comme le démon aurait pu le faire, lorsque je sentis le point de non retour atteint. Et elle répondit par des cris. Son fantasme n’était pas le mien. Mais l’idée de la rendre enceinte, de voir la sœur de Stanza jouer avec la fille de Stanza… répandant mon essence en elle… mais je n’en avais pas assez. Éjaculer de manière sèche était douloureux, mais intense.

Elle me chevaucha, longtemps après que je n’aie plus rien à lui donner. Tel était le lot des pauvres démons à forme de loup et dénués de quelque pouvoir particulier…

Le Loup 6

 

ŠLE CERCLE BDSM 2006