Histoires Des Invités
Le Sac de Cuir
Par Julius Lothaires
Chapitre premier. Rachel
Un samedi après-midi du mois de juillet, en pleine canicule, je m’introduis
dans la garçonnière de mon amant bien aimé (qui, depuis quelques mois, est
aussi mon maître adoré). Au seizième étage de la tour Perret, en face de la
gare d’Amiens. Je possède la clef du studio, et j’aime venir y rêver des
jardins paradisiaques où mon amant me mène et, depuis quelque temps aussi,
je suis follement excitée à la pensée des flammes infernales où parfois son
sadisme me fait brûler pour notre plus grande jouissance commune. Je viens
ici, même en l’absence de Siegfried. Mais cette après-midi, je sais que mon
maître viendra ; il m’a donné rendez-vous en fin d’après-midi, et je m’en
réjouis beaucoup. Cette garçonnière est claire, ensoleillée, garnie de
fleurs que mon amant remplace régulièrement – à ma plus grande
satisfaction, car j’aime les fleurs. Aucun vis-à-vis sinon, très loin, la
campagne picarde. En regardant de biais par la porte-fenêtre qui donne sur
un minuscule balcon, on peut apercevoir les flèches de la cathédrale Notre
Dame qui domine de tout son poids le vieux quartier d’Amiens.
Sur la table, un papier posé bien en évidence, signé des initiales de mon
maître, et, à côté, un sac de cuir. Je lis : «
Mets-toi à l’aise, ma douce Rachel ; installe-toi confortablement,
prends un douche si tu veux te rafraîchir. J’arriverai à 18 heures
exactement. À ce moment-là, je veux te trouver complètement nue, un
bâillon entre les dents et fermement noué derrière le cou, le sac de
cuir te couvrant la tête et le cou, de manière à ce que tu ne puisses
rien voir, et que ton visage me soit invisible. Ainsi tu ne seras que
la femelle anonyme, offerte à l’esprit bestial qui me ronge depuis
notre dernière épopée sexy dimanche dernier dans le caveau du Dionysos.
Tu auras les bras levés, portant dans ton corps, bien en évidence, les
signes des trois épreuves que tu as subies, pour mon plus grand
plaisir, depuis le début de cette année : les pinces d’acier agrippant
le bout de tes tétons, reliés par une chaînette portant un poids
suffisant pour étirer tes seins jusqu’au niveau de ton nombril, une
aiguille à tricoter en métal traversant de part en part ton sein
gauche, et ta brosse ronde à démêler tes cheveux – celle aux poils drus
– enfoncée dans ton vagin de telle sorte qu’elle ne laisse sorti que le
manche. Tu placeras sur la petite table ce qui fut le premier signe
très douloureux de notre connivence, la planche à pain chargée de te
meurtrir les fesses. Tes mains toucheront les coins supérieurs de la
porte-fenêtre ouverte, les jambes seront largement écartées, les pieds
coincés dans les coins inférieurs. Tu resteras ainsi en attendant ma
venue. Cette tenue originale – qui résume pour moi la condition de
soumise qui tu as acceptée voici bientôt un an (c’est presque un
anniversaire) – sera le prélude d’une soirée où je compte prendre mon
plus grand plaisir, qui sera aussi, j’en suis sûr, le tien
. » Signé S.J.
Une décharge électrique me traverse le ventre. Les seins démesurément
étirés, la brosse à cheveux dans la chatte, l’aiguille de fer dans le sein
gauche, tous ces supplices, pour les avoir déjà subis, m’effrayent
énormément. Mais cette peur m’excite au plus haut point. Je sens couler de
mon bas-ventre les premiers flux qui président à l’orgasme. N’y tenant plus
je baisse mon d’jean, me jette allongée, dos sur la moquette et, les
cuisses écartées, j’achève de la main, en quelques secondes, la pulsion qui
m’entraîne. Revenue à moi, je prends conscience de la nouveauté du jour, le
sac de cuir et le bâillon. C’est la première fois que mon maître prend
l’initiative d’une épreuve que nous n’avions pas visionnée ensemble au
préalable sur un site BDSM. Je regarde autour de moi la garçonnière de
Siegfried, comme si c’était ma première visite. Tout me semble désormais
nouveau. En attendant de prendre un nouveau départ, notre histoire me
remonte en mémoire…
… Siegfried Janssens, mon amant et désormais aussi mon maître, possédait ce
studio avant de rencontrer Myriam son épouse, assistante de Direction d’une
grosse coopérative de teillage de lin ; il a conservé son studio après son
mariage, pour des raisons pratiques … et pour l’utiliser à l’occasion comme
garçonnière. Mon amant, en effet, dirige, dans la périphérie d’Amiens, une
entreprise d’électronique spécialisée dans la sécurité informatique. Sa
résidence principale, où vivent à demeure son épouse Myriam et leurs deux
enfants Amélie et Gérard, est située à plus de trois quart d’heure
d’Amiens, dans un beau domaine hérité des parents de Myriam. Cette grande
maison est perchée sur la bute d’un gentil hameau près de Saint-Riquier,
dans la Somme, connue pour ses paysages et sa production de lin. Siegfried
m’a reçue l’été dernier dans sa maison, durant un long week-end de quatre
jours, alors que Myriam et les enfants étaient en vacances chez leurs
cousins dans les Alpes de Haute Provence. Ce furent quatre jours
paradisiaques.
Siegfried n’a pas l’intention de divorcer. J’ai cru comprendre que, dans
notre situation, ce qui l’excite surtout, outre les relations amoureuses
légèrement épicées et souvent torrides, c’est « la transgression », seul
moteur de l’érotisme, répète-t-il. Evidemment, s’il n’y a rien à
transgresser, il n’y a plus ni transgression, ni plaisir. D’où le maintien
du lien conjugal qu’il prend plaisir à défier avec sa maîtresse, qui est
devenue depuis octobre de l’an passé, sa soumise bien-aimée. C’est
l’obstacle mental surmonté qui fait la vraie jouissance, pense-t-il. Depuis
que nous sommes amants, Siegfried a eu la délicatesse d’aménager sa
garçonnière en tenant compte de mon avis. Le lit, large et confortable, fut
commandé sur mesure. Les meubles sont cossus, témoignant de l’aisance
financière de Siegfried.
Moi-même j’habite une vieille maison restaurée du centre d’Amiens, dans un
quartier épargné par les bombardements de la guerre. Mon appartement aux
poutres apparentes a beaucoup de cachet ; il s’harmonise bien avec mon
travail d’esthéticienne de mode, au service d’un grand couturier parisien,
ce qui me rend assez libre de mon emploi du temps. Car la création, comme
on dit, « n’a pas d’heure ». À l’époque où j’étais jeune professionnelle,
j’avais rencontré durant deux ans Jérôme, un garçon gentil et serviable,
mais un peu nunuche, complexé par une éducation moralisatrice, et qui se
demandait toujours avant de passer à l’acte s’il avait le droit de me
baiser. C’est ainsi que je n’ai connu avec lui que la position du
missionnaire. Ma relation avec Jérôme fut très vite celle d’une boniche ;
elle a sombré très vite dans la routine, et a fini par me faire tourner en
bourrique. J’aspirais à une relation plus excitante et plus sexy, que
Jérôme était manifestement incapable de m’offrir.
Siegfried n’a pas ces complexes. Il ne rentre pas chaque soir chez lui.
Parfois il dîne avec des clients, d’autres fois, il doit se lever tôt le
lendemain. De temps à autre, il prend tout un week-end intégré dans un
« voyage d’affaire ». Il va sans dire que souvent, ces excuses ne sont que
des occasions, voire de purs prétextes, pour nous rencontrer au studio,
pour « transgresser le pacte conjugal », comme il dit en souriant. C’est
pourquoi, voici deux ans déjà, ayant rencontré Siegfried à un défilé de
mode à Paris où son épouse l’avait entraîné, nous nous sommes compris au
premier regard. À l’insu de son épouse, nous nous sommes donnés
rendez-vous. Ce premier rendez-vous eut lieu dans un bar chic du centre
d’Amiens. Ce fut l’occasion de tester les compétences de danseur et la
maîtrise de Siegfried : il m’entraîna sur la piste dans une bachata
endiablée. Mon rêve ! Au cours de la salsa torride qui suivit, j’ai pu
déployer pour lui ce qu’il a qualifié peu après de « ma souplesse de
serpent ». Il est vrai que j’adore les danses à la sensualité débridée ; et
dans de telles situations je ne montre aucune pudeur. La nuit-même, nous
jouions à la bête à deux dos dans sa garçonnière, où j’ai pu vérifier que
ses qualités d’amant valaient ses qualités de danseur.
Voici un an, après quelques mois de relations enflammées, au cours d’une
folle nuit d’amour, il franchit les limites des bonnes manières. Dans les
ultimes secondes de la fellation que je lui administrais, il sortit sa
queue de ma bouche et fit gicler son sperme sur mon visage et dans mes
cheveux. Puis, de sa main, il me frotta le visage de son sperme comme s’il
s’agissait d’une crème hydratante, et se servit de mes cheveux comme
essuie-main. S’allongeant alors sur moi, il m’immobilisa longuement tout en
collant ses lèvres sur les miennes. Je restais ainsi longtemps. Lorsque je
voulus finalement me lever pour aller me laver la tête : « Non ! dit-il
d’une voix nette ; je veux que tu ressentes longtemps sur ta peau ce qui,
d’ordinaire, se perd dans les cavernes de ta chatte. La sensation était
fort désagréable.
Au matin, revenant enfin de la salle d’eau, j’entends Siegfried me dire :
je voudrais t’attacher à moi. Dis-moi ce que je peux t’offrir ? Il voulait
peut-être compenser cet « écart de bonne conduite » de la nuit en
m’achetant quelque bijou ou objet de valeur. Je le surpris beaucoup. Car
sans réfléchir, dans l’enthousiasme d’avoir, la nuit précédente, suscité en
lui un geste inédit – quoi que pour moi un peu répugnant, et qui lui a
certainement apporté un plaisir ambigu (juste au-delà des limites à ne pas
franchir – ce qui est pour lui le comble de l’érotisme), je répondis la
première chose qui me passa par la tête : si tu veux m’attacher, il y a une
solution simple et pratique : tu n’as qu’à m’offrir des cordes solides, des
menottes, et fixer dans le mur des anneaux qui m’empêcheront de m’envoler.
Ainsi, je serai vraiment à toi.
Un silence de quelques secondes s’ensuivit, durant lequel, mon crâne en
feu, je pris conscience de l’énormité de ma proposition. Mais quelques
instants plus tard, un retournement s’opérait dans ma tête. Ma parole avait
précédé ma pensée profonde ; et ma pensée profonde correspondait à ce qui
m’avait fasciné depuis le jour où, vers l’âge de quatorze ans, une copine
de ma classe m’avait avoué que, pour la punir de ses bêtises, sa mère la
frappait parfois avec un martinet, d’jean et culotte baissés, cul nu… Ces
corrections provoquaient en elle une certaine jouissance, disait-elle,
jouissance qu’elle avait toujours cachée à sa mère en s’efforçant de crier,
de gémir et de pleurer pour donner le change.
-
Reprenant mes esprits, je réponds à Siegfried : Non, je ne ris pas
du tout. Tu as toujours été très bon pour moi. Je t’aime vraiment ;
mais je crains que notre amour aussi brûlant soit-il aujourd’hui,
ne sombre peu à peu dans la routine, comme celle que j’ai eue avec
Jérôme. Je veux que notre relation reste toujours excitante,
coriace, pugnace, en un mot plus vraie, plus… je ne sais quoi,
qu’elle tienne compte de ce qui me manque – et peut-être aussi qui
te manque aussi - pour t’aimer à la folie. J’ai peur de t’aimer
uniquement pour tes cadeaux, pour les soirées et les nuits d’amour
que nous passons ensemble, pour les merveilleuses consolations de
ces week-ends qui ne devraient jamais finir…
-
Mais je ne suis pas sadique. Mon plaisir est de te faire plaisir,
ma joie est de te savoir épanouie. Toute entrave, surtout si elle
est physique comme tu le proposes, ne peut que détruire notre
relation. Déjà je regrette un peu le débordement de cette nuit.
-
Tu le regrettes un peu ; c’est-à-dire que, au fond de toi, dans le
recoin de ta conscience, tu y acquiesces. Aurais-tu peur du côté
sombre de ta personnalité ? Moi, je n’en ai pas peur ! Tu crains de
libérer des instincts que ta bonne éducation t’interdit de
manifester. N’aie pas peur de montrer la violence que tu portes –
toi comme tous les mâles. Cette violence, je l’attends. Je suis
aussi transgressive que toi. Je suis fascinée par ce qui me
dégoûte, par ce qui me choque, par ce qui m’épouvante. J’y puise
une sorte de ravissement. Accepte donc ma proposition. Je t’en
prie. Tu verras que notre amour en sortira fort comme la mort.
J’ignore si j’ai vraiment convaincu mon amant. Mais il fit semblant de me
croire. Il fit sceller quelques anneaux aux murs, sur les pourtours du lit,
acheta quelques sangles en tissu…
Plusieurs semaines plus tard, c’est moi qui pris l’initiative :
attaches-moi, lui dis-je un soir. Fais de moi ton objet de plaisir. Après
une très longue hésitation – il cherchait dans sa tête quelque argument
pour refuser, manifestement introuvable – il demanda enfin d’une voix
rauque : tu le veux vraiment ?
Il m’a semblé voir sa main trembler.
Comme à regret, Siegfried me fit étendre sur le lit et noua ensemble mes
deux poignets pour les tirer derrière ma tête, mes chevilles furent
écartées de part et d’autre du lit, jambes écartées. Dans son trouble, mon
amant n’avait même pas pensé à me dévêtir. Me contemplant allongée habillée
sur le lit, Siegfried resta songeur, embarrassé, ne sachant que faire.
Un silence gêné répondit à mon interrogation.
Venant au secours de mon amant, je lui dis : oublie tes bonnes manières,
laisses-toi aller à la passion qui ne demande qu’à sortir de toi. Communie
au moins une fois dans ta vie avec moi dans l’extase que procure la
profanation. Depuis que nous nous connaissons, tu me donne l’impression de
prendre mon vagin et ma bouche pour des vases sacrés. Pour une fois,
désacralise-les. Remplis-les de ta pisse ou de ta merde. Je ne savais plus
ce que je disais. Prenant conscience des paroles qui sortaient de ma
bouche, je conclus d’une voix plus neutre : Comme un animal en rut, et sans
tenir compte des dégâts, rues-toi sur moi, déchire ces voiles qui te
cachent ce corps tout offert à mon amant bien aimé.
Siegfried ne bougeait pas. Au moment même où je me demandais s’il allait
fondre sur moi comme un satyre, ou fondre en larmes sur le fauteuil en
pleurnichant,… d’un geste brutal, il défit sa ceinture et, la prenant par
le bout, de plusieurs coups violents il me cingla la poitrine et le visage.
La boucle de la ceinture frappa si fort que je crus que l’un des coups
avaient certainement fait perler une petite goutte de sang sur mon cou. (En
fait, il n’en était rien. Seule une légère rougeur demeura pendant quelques
jours.)
Comme excité par cet acte de transgression de la morale élémentaire qu’il
avait observée depuis toujours, il se jeta sur le lit, remonta ma robe
jusque sur ma poitrine, tira sur le string jusqu’à le déchirer, et enfonça
sans ménagement et sans préparation son dard dans mon puits d’amour. La
pénétration me fit affreusement mal, plus mal encore que les coups de
ceinture. Mais, à mon immense surprise, je connu à ce moment-même la
jouissance dont ma copine de collège m’avait parlé voici douze ans déjà !
La suite immédiate de cette première épreuve fut en parfait contraste avec
ce qui venait de se passer. Mon amant me cajola doucement, je m’isolais
quelques minutes dans le cabinet de toilette pour me rendre à peu près
présentable, mon bien-aimé m’emmena dans un restaurant huppé du quartier
des Bastions à l’Ouest d’Amiens. Après une longue nuit d’amour baigné dans
une jouissance divine, je le quittais en le suppliant – puisque
l’expérience avait été concluante pour nous deux – de la renouveler, sans
attendre que j’en prenne l’initiative. Au fond de moi, j’aspirais à ce
style plus hard de notre relation, qui me procurait une jouissance
nouvelle.
Bien que très excitante pour nous deux, la suite n’apprendra rien à ceux
qui ont eu la curiosité de visiter des sites BDSM sur Internet. D’autant
plus que, pour détruire ses réticences, je lui mis un soir le marché en
main – au terme d’un excellent repas qui précéda une nuit d’un amour
débridé : me faire subir uniquement ce que lui ou moi aurions au préalable
vu réellement pratiquer sur un site BDSM.
-
Mais ces filles suppliciées jouent la comédie ! Avant de les
fouetter, elles absorbent quelque médicament ou des piqures pour
les insensibiliser…
-
Certainement pas toujours, répondis-je. D’ailleurs, l’important
pour moi, ce n’est pas d’accepter les traces sur mon corps, c’est
de les subir, de souffrir sous tes coups, sans commentaire, et
quels que soient mes cris, mes pleurs, mes protestations et mes
supplications.
Manifestement, mon amant n’avait pas la vocation d’un sadique. Pour le
convaincre je lui dis :
Voulant éviter qu’une trop longue hésitation de sa part aboutisse à une
impasse, la nuit même, de retour dans le studio, pendant que Siegfried
prenait sa douche, je recherchais sur l’ordi quelques vidéos pornos. La
première idée qui me vint fut de taper sur le clavier Whipped Women. Je tombais sur des reportages rapportant
l’application de la sharia à des femmes supposées coupables d’adultère et
punies d’un nombre extravagant de coups de fouet. Au milieu de tout ce
fatras, j’épinglais un site X vidéo qui, sous le patronage de
« Pedro & Pablo » fournissait ce que je désirais : la mise en scène de
scénarios hard qui montraient des femmes cruellement frappées. Les coups
faisaient naître sur la peau des suppliciées des traces bien visibles, on
voyait des peaux éclatées par endroit, de longues balafres sanguinolentes,
parfois des gouttes de sang. J’étais fascinée par les tortionnaires
accomplissant leur office tragique avec une apparente indifférence, pendant
que le bruit du fouet, les cris et les pleurs de leurs victimes occupaient
l’essentiel du volume sonore. Ayant trouvé ce que je cherchais, je
proposais à Siegfried qui sortait du bain :
Siegfried jette un coup d’œil sur l’écran de l’ordi où s’affichait une
femme nue, couchée sur une sorte de cheval d’arçon, brutalement frappée sur
les fesses à coups de spatule en bois.
-
Pourquoi non ? Tu prétends toujours que la plus pointue des
jouissances provient de la transgression. Pour mon plus grand
plaisir tu transgresses ton engagement conjugal. Pourquoi, pour un
plaisir plus grand encore, tu ne transgresserais pas également les
limites que tu t’imposes envers moi, toi qui te soumets aux règles
de l’amour courtois, fait de délicatesse, de douceur et de
tendresse envers moi ? Comme on dit : où il y a de la gêne, il n’y
a pas de plaisir ! Pour une fois, aies le courage de transgresser
ces règles non écrites qui te soumettent à moi, comme tu as
transgressé les règles écrites sur ton contrat de mariage !
-
Mais, pour prendre plaisir à ça, il faut être pervers ! Je ne suis
pas sadique et je ne veux pas le devenir. De plus je ne crois pas
beaucoup au bonheur dans la souffrance. Je laisse aux auteurs de
roman le mythe du bonheur dans l’esclavage.
-
Mais qui te dit que je ne trouverai pas aussi mon bonheur dans la
transgression, la transgression de mon univers harmonieux et
douillet qui, je le sens, est en train de m’enfermer ?
Aussi tordu soit-il, l’argument sembla porter. Siegfried garda le silence.
Finalement je lui dis :
-
Ecoute… nous ne sommes pas obligés de pratiquer dès ce soir ce
scénario entrevu de la femme frappée aux fesses. Mais, pour un
avenir que tu décideras toi-même (sans me consulter, bien sûr ; car
alors il n’y aurait plus transgression de mon point de vue) – et
peut-être ne te décideras-tu jamais (çà, c’était pour emporter son
accord) – inscrivons ce scénario sur un papier : la femme ici a
reçu vingt coups de spatules. Marquons « vingt coups de spatule en
bois sur les fesses nues ». Mettons ce papier dans une enveloppe
posée sur la crédence. Tu l’oublieras peut-être… ou peut-être, un
jour où je ne m’y attendrai plus, tu voudras me faire goûter à
cette cruelle surprise. Tu connaîtras alors, j’en suis certaine, un
plaisir renouvelé d’une transgression inédite : celle de
transgresser les limites que tu t’imposes, toi mon amant dévoué. Ce
sera une seconde transgression qui entraînera pour toi un plaisir
supérieur à la première, j’en suis certaine.
Je craignais devoir attendre longtemps la réaction de Siegfried. Au fond de
moi, j’aspirais à ce qu’il déchire non seulement mes vêtements mais aussi
mon corps, pour me dévoiler, et mettre à nu mon intérieur, selon son seul
bon plaisir – j’y voyais la preuve de mon pouvoir de le rendre libre. Je
désirais également tester mes capacités non pas de surmonter la douleur
mais de me libérer de la conscience de soi dont j’étais prisonnière. Je me
foutais pas mal de surmonter la douleur ; car il va de soi que l’enjeu
n’était pas de surmonter ; je ne surmonterai pas, mais simplement je
subirai la douleur, dans les cris, les larmes et les supplications, tout en
priant le ciel pour que mon Maître ailles jusqu’au bout, sans faiblir,
quelles que soient mes protestations.
Surprise ! Trois jours ne s’étaient pas passés que le mercredi suivant, je
reçois chez moi un coup de téléphone de Siegfried. Au bout du fil, il
semblait passablement énervé. « Rejoins-moi immédiatement au studio »
ordonne-t-il sans préambule. D’une voix brève, je lui réponds simplement :
« J’arrive. » Il m’attendait dans sa garçonnière. En deux phrases il
m’explique cyniquement : « J’ai eu une dure journée, une transaction qui
s’éternise sans conclure. J’ai besoin de me défouler sur toi.
Déshabilles-toi ! » J’obéis en tremblant de tous mes membres. Mais en même
temps, je ressens une sorte de satisfaction intérieure : enfin ! Il montre
qu’il a besoin de moi, ne serait-ce que comme souffre-douleur. J’en ressens
une joie intérieure, d’une nature très originale, une joie que je n’avais
jamais éprouvée de toute ma vie.
Une fois nue, Siegfried m’ordonne d’appuyer mon ventre sur le dos du grand
fauteuil, de plier mon dos en tenant des mains les deux accoudoirs,
d’écarter largement les cuisses…
Sans attendre de réponse, il saisit une planche à découper le pain munie
d’une excroissance qui peut servir de manche, et, d’un geste violent la
plaque sur ma fesse droite. Ouille ! Je ne pus m’empêcher de crier. Un
autre coup éclata ma fesse gauche, puis un troisième, un quatrième. Je ne
les comptais plus. J’ignore s’il y en eu vingt, ou moins, ou plus. Je
criais, je pleurais, je suppliais. Le supplice continuait. Le feu de mon
arrière-train était si vif que je ne pensais plus à rien. Je n’étais qu’une
chaire sanguinolente.
Sans savoir comment, je me retrouvais sur le lit, allongée sur le ventre,
mon maître penché sur moi, caressant ma chevelure, m’embrassant doucement.
-
Merci me dit-il dans le creux de l’oreille. Me voici de nouveau
moi-même, calme… grâce à toi, ma bien-aimée. Tes fesses ont absorbé
toute ma tension nerveuse. J’étais en colère contre moi-même. Je me
suis vengé sur toi. Pardonnes-moi Rachel.
-
Je n’ai rien à te pardonner. Je suis même très heureuse que tu aies
osé déverser ta colère sur mon postérieur. N’est-ce pas là un signe
suffisant de ton amour : me croire capable non pas de supporter (tu
as vu que je n’ai pas vraiment supporté les coups) mais d’accepter
librement que tu fasses de moi ta chose capable d’absorber ton
trop-plein de violence.
-
Mais je ne veux pas te réduire à une chose !
-
Avoue que je t’ai été utile ; ça me suffit, et cela me fait
diablement plaisir, même si ça me fait horriblement mal.
La nuit suivante fut merveilleuse. Siegfried réussit, comme jamais
auparavant, un cunnilingus raffiné, pour ma plus grande jouissance.
L’excitation de ce jour-là me tint attentive les semaines suivantes – et
pas simplement à cause de mes fesses rendues si sensibles au moindre
frottement. J’aspirais à renouveler cette furieuse expérience. Mais notre
convention voulait que l’on trouve sur un site BDSM des scénarios nouveaux,
acceptables pour nous deux. L’occasion m’en fut donnée une fin d’après-midi
où je vins traîner dans le studio, sans savoir si Siegfried viendrait m’y
rejoindre. Pour passer le temps, je visionnais quelques sites. Je tombais
sur une chaîne californienne, Kink.com qui présentait des pornos
soft, quelques-uns avec une certaine esthétique comme « Water bondage ». La série « Training of O » retint mon
attention. Cela s’approchait de ce que j’imaginais pouvoir faire avec
Siegfried : pinces sur les seins, voire sur les lèvres de la chatte ; cire
brulante tombant d’une bougie allumée (j’appréhendais cependant l’image –
jamais vue sur un site – de la cire coulant sur mes cheveux : comment
ensuite les démêler sans m’arracher le cuir chevelu ?!)
Au moment où je visionnais une femme, jambes écartées, une pince en acier
agrippée aux tétons de ses seins, des poids de plus en plus lourds
accrochés sur la chaînette qui pendait depuis les pinces en étirant les
seins jusqu’au niveau du nombril. Toute absorbée par cette image
épouvantable et en même temps qui me fascinait jusqu’à me ravir, une voix
se fit entendre derrière moi. Je n’avais pas entendu entrer mon amant.
Au lieu de s’indigner, Siegfried me demande simplement :
-
Te crois-tu capable de supporter ça, ces poids monstrueux, ces
seins étirés au-delà de toute mesure, et qui resteront très
certainement déformés toute ta vie ?
Je pris tout à coup conscience de l’extravagance de l’épreuve proposée. Ma
langue sécha dans ma bouche. Mais finalement, comme par défi, je prononçai
tout bas : et pourquoi-pas ?
-
Alors, continua mon Maître (en cet instant précis, je sentais qu’il
me terrassait, et je ne pouvais pas le nommer autrement que mon
Maître, un Maître d’une folle exigence, auquel il m’était
désormais, et de par ma propre volonté, impossible de désobéir)
selon nos conventions, inscris le détail sur un papier : évalue
l’allongement des seins, mesure la durée du supplice, et met le
papier dans une enveloppe blanche, sans que rien ne puisse trahir
le contenu de l’enveloppe que tu déposeras comme la précédente, sur
la petite table. Puis nous allons chercher d’autres jeux que tu
accepteras de subir et moi de t’infliger…
Je pris peur, et fis un geste de refus en me tournant vers mon maître. Mais
lui, comme s’il n’avait pas remarqué ma réticence, me dit d’une voix
douce :
-
Allons, mon amour. As-tu oublié ton désir de transgression ? Il
était si fort qu’il nous libérait tous les deux, moi de mes bonnes
manières courtoises envers toi, toi de ton confort bourgeois de
femme entretenue. Serais-tu moins courageuse que l’intelligente
Héloïse qui acceptait de devenir, selon ses propres mots « la
putain d’Abélard » ?
Ces mots n’étaient pas faits pour m’apaiser. Cependant, n’osant pas me
dédire, je m’exécutais et notais sur un papier les attendus de ce scénario
violent. Mon Maître me demanda ensuite de chercher d’autres supplices que
nous accepterions tous les deux, lui pour me les infliger, moi pour les
subir. Je manipulais en tremblant la souris de l’ordinateur. Nous tombâmes
d’abord sur un supplice qui fut un temps l’un de mes fantasmes
d’adolescente, à l’époque où je n’avais pas encore rencontré le loup : une
brosse ronde à démêler les cheveux – celle aux poils drus – enfoncée dans
le vagin, non par le poignet, bien sûr, mais par les poils, et qui, tournée
à 360 degrés à l’intérieur de la chatte, en ressortait humectée de sang.
Siegfried me fit signe d’ensiler aussi cette épreuve dans une enveloppe
anonyme, non sans avoir au préalable évalué la longueur et la dureté des
poils à introduire dans le vagin. Puis il exigea que je poursuive mon
exploration. Une vision arrêta son regard : une femme, poitrine nue, le
sein gauche transpercé de part en part d’une grosse aiguille à tricoter en
acier, et le bout extérieur de la tige de métal chauffée à blanc durant
cinq bonnes minutes par la flamme d’un briquet ou d’un petit chalumeau. Ce
troisième scénario fut également mis sous enveloppe.
Après quoi, comme si de rien était, Siegfried me demanda :
J’acquiesçais avec soulagement, tout en gardant au fond de ma tête les
horribles visions des tourments auxquels, malgré moi, j’avais souscrit par
avance. J’expérimentais ce qu’avait dû ressentir Damoclès, ce courtisan de
Denys (le tyran de Syracuse au IV° siècle avant notre ère), que Denys fit
vivre toute une journée assis sur son propre trône, au-dessus duquel il
avait accroché une épée nue tenue par un crin de cheval.
Après le dîner, une nuit d’amour magnifique me fit oublier mes
appréhensions. Le lendemain matin, je repartais au travail sans plus penser
aux trois enveloppes laissées sur la crédence de la garçonnière de
Siegfried. Les deux mois qui suivirent furent enchanteurs, marqués par une
croisière « en amoureux » en mer de Chine. L’occasion en fut un « voyage
d’affaire » de Siegfried, prolongé grâce aux vacances d’hiver dans une
station suisse de ses deux enfants accompagnés de leur mère. Le couple que
nous formions, Siegfried et moi, donnait l’impression d’être en voyage de
noces. Cependant, durant le vol de retour, entre Singapore et Londres, je
ne pus m’empêcher de remarquer que Siegfried, tout en restant attentionné
et jovial, portait sur son visage une légère brume d’inquiétude. Je ne m’en
souciais guère, pensant qu’il s’agissait d’une préoccupation
professionnelle, assez habituelle chez lui.
Amiens nous revit heureux et satisfaits. Dans la nuit du jeudi suivant
passée en compagnie de mon amoureux adoré, je fus réveillée vers deux
heures du matin par un doux baiser sur les paupières. Siegfried avait
allumé la veilleuse et se tenait assis sur le lit à mes côtés. Je
m’agrippais à son cou, pensant qu’il voulait l’une des gâteries dont je le
gratifiais de plus en plus souvent. Il dénoua tendrement mes bras et me
montra les trois enveloppes blanches qu’il tenait à la main. Mon sang ne
fit qu’un tour. Brusquement éveillée et lucide, je me rappelais d’un coup
les fameux supplices que nous avions visionnés trois mois auparavant, et
que j’avais moi-même notés et placés dans les enveloppes. Mon cerveau
bouillonnait tandis que la tension de mon bas-ventre provoquait un orgasme
irrépressible. Mon Maître attendit patiemment que je retrouve un peu de
calme ; puis il me dit, sans élever la voix, à la manière dont il m’aurait
montré le fonctionnement d’un aspirateur :
-
Depuis deux mois, et spécialement depuis notre retour de croisière,
je repense à notre convention : pour toi, te libérer des habitudes
douillettes où risque de t’enfermer notre relation amoureuse, afin
de connaître l’exaltation de la transgression de tes propres
limites physiques et mentales ; pour moi déchirer ma camisole de
bonnes manières pour connaître la joie infinie du débordement
érotique. Le moyen que nous avons choisi, c’est la mise en œuvre de
supplices visionnés ensemble sur des sites BDSM.
Depuis plusieurs jours, je me dis que ce pari sadomasochiste est absurde,
et qu’il est stupide de mettre en œuvre ces souffrances insupportables,
simplement parce que, un soir, cette idée saugrenue nous est passée par la
tête. Cependant malgré l’absurdité de la situation, je pense être prêt
cette nuit à remplir mon rôle de bourreau. Mais la moindre réticence de ta
part qui sera la victime innocente, m’y ferait renoncer.
Plusieurs minutes se passèrent dans un silence de mort. Finalement mon
Maître le rompit en disant doucement :
-
Saches que, si tu acceptes en choisissant au hasard l’une de ces
trois enveloppes, j’irai jusqu’au bout du scénario tel que tu l’as
écrit. Si – ce que je comprendrais fort bien – tu n’acceptes pas,
je mettrais au panier ces enveloppes, nous n’en parlerons plus, et
nous continuerons notre vie en amoureux, comme si de rien était.
J’oscillais comme une aiguille folle entre le vert de la sécurité, et le
rouge vif du sanglant jeu érotique, passant du vert au rouge, du rouge au
vert, sans me déterminer. Siegfried attendait patiemment. Inconsciemment,
je savais qu’une trop longue hésitation équivaudrait à un refus de la
violence minutieusement programmée. Une force qui me sembla venue
d’ailleurs me fit interrompre l’hésitation. Je saisi brutalement l’une des
enveloppes et la présenta à celui qui, à cet instant, revêtit le costume de
tortionnaire. Situation paradoxale, puisque c’était moi-même qui décidais
de ma propre déchéance en me livrant entre les mains de mon bourreau bien
aimé.
La suite ne réclame pas de description détaillée. Le contenu de l’enveloppe
choisie au hasard portait le scénario de l’aiguille en métal hurlant
traversant le sein et chauffé à blanc durant cinq minutes. Ce fut atroce.
Le sang coula. Mais le plus atroce fut la brulure interne du sein au fur et
à mesure que la chaleur s’introduisait dans mon corps. Je tombais évanouis.
Siegfried poursuivit cependant la torture jusqu’au terme fixé. Je me
réveillais dans ses bras. Il m’humectait d’eau odoriférante, me couvrait de
baisers. Reprenant mes esprits, ma première idée fut de lui demander.
-
Alors, ta camisole s’est-elle déchirée ?
-
Autant que tes liens se sont rompus, me répondit-il
Notre relation amoureuse sortit renforcée de ce qui fut, pour nous deux,
une épreuve. Deux mois plus tard, nous la renouvelâmes en vivant le
scénario de la brosse ronde à démêler les cheveux – celle aux poils drus –
dans le vagin. Puis, il me fallut attendre huit bonnes semaines pour que
mon Maître adoré me soumit au troisième supplice que nous avions visionnés
six mois plus tôt : l’étirement des seins. Même si ce ne fut pas la plus
douloureuse des épreuves, ce fut celle qui me marqua mentalement
davantage ; car la déformation de cette partie intime de mon corps n’a pas
encore disparue.
Depuis cette troisième épreuve, nous n’avons visionnés ensemble aucune
autre vidéo BDSM. (Ce qui ne m‘a pas empêché d’en visionner plusieurs chez
moi ; mais je n’en parlais pas à Siegfried.) Un soir béni où je me
prélassais tendrement dans ses bras, Siegfried me surprit.
– Oh, comme je suis bien entre tes bras lui dis-je comme une petite fille
dorlotée par sa maman.
– Tu crois ? répondit-il comme sans y penser
– Oui, avec toi je connais tous les plaisirs, celui de la tendresse d’un
amant adorable, comme celui de la jouissance de la douleur cruelle, celui
de l’harmonie enviée par notre entourage, comme celui de l’interdit
allégrement transgressé…
– Il y a cependant une jouissance que tu n’as pas encore goûtée, dit-il sur
un ton sentencieux après un bon moment de silence, comme pour prendre le
temps de profondément réfléchir
– Ah oui, … laquelle ?
– La jouissance du bourreau ; celle qui fait jaillir dans l’âme la cruauté
que chacun cache en soi, et que la société lui impose de cacher. Cette
saleté qui te fait honte et que tu caches sous le tapis. Tu as là un coming-out à faire, qui te procurera, comme il me l’a procuré, une
jouissance d’un type nouveau, qui n’est pas comparable au plaisir de la
tendresse ni à la jouissance dans la douleur.
– Mais je ne suis pas sadique ! Et je ne me vois pas t’imposer des cruautés
gratuites !
– Souviens-toi ! C’est très exactement ce que je te répondais quand tu
voulais m’engager dans le métier de tortionnaire
Finalement, la conversation s’arrêta. Mais les mots de Siegfried s’étaient
incrustés dans ma mémoire : une jouissance incomparable, ni celle de la
tendresse, ni celle de la douleur… Cinq jours plus tard, n’y tenant plus,
rentrant d’un restaurant où nous avions dégusté des huitres copieusement
arrosées de vin d’Alsace. Je repris la conversation :
– Tu étais sérieux quand tu me proposais de jouer les bourreaux ?
– Rien de plus sérieux
– Mais quelle torture es-tu prêt à subir ?
– Celle qui traversera ton imagination la plus perverse, mon amour
– Je n’en vois aucune. Que proposes-tu ?
Mon amant réfléchit un moment avant de me proposer : Puisque tu fumes de
temps à autre des cigarettes, tu en allumeras une… que tu éteindras en
appliquant pendant quelques secondes le bout en feu sur ma peau, à
l’endroit que tu voudras, jusqu’à ce qu’elle soit éteinte, Et tu
recommenceras la manœuvre cinq fois. Tu iras jusqu’au terme de ce scénario,
même si je crie ou que je te supplie d’arrêter. D’accord ?
De retour dans la tour Perret, cette conversation semblait déjà loin.
Cependant, à deux heures du matin, mon amant me réveilla d’un baiser
langoureux sur les lèvres. À demie endormie, j’ouvris les yeux et le vis,
nu comme un vers, tenant un paquet de mes cigarettes préférées d’une main
(des Lighthouse mentholées) et un briquet dans l’autre.
– Allons, n’hésite pas, bourreau de mon cœur. Et n’oublie pas : cinq
incendies sur ma peau – où tu voudras – et cinq incrustations dans ma peau
jusqu’à l’extinction complète des cinq incendies…
Je tremblais, refusant d’obtempérer. Mon cerveau se refusait à commander à
mes mains. Nous restâmes ainsi, l’un près de l’autre, lui, nu, tenant
toujours en mains cigarettes et briquet, moi, stupide et figée. Finalement,
Siegfried ouvrit la bouche pour me demander si je préférais lui faire subir
ce châtiment gratuit, capable de révéler en moi la partie perverse de ma
nature, ou bien lui faire lécher et avaler mon sang menstruel. Cette
perspective immonde décoinça mon cerveau et mes muscles… Et, d’une main
d’abord tremblante, mais qui s’affermit assez vite sous la pression de
l’univers qu’elle me fit découvrir en moi-même, j’accomplis ce qu’il
attendait de moi. Par cinq fois, je rallumais la cigarette ; par cinq fois
je l’éteignais sur la peau de mon amant supplicié. Je marquais pour
toujours un grand triangle isocèle dans le dos (un point sur chacune de ses
omoplates, un autre au bas de la région lombaire) Puis je brûlais de la
même manière ses deux tétons. Je l’entendais gémir, se mordre les lèvres
pour ne pas crier. Mais la félicité cruelle que j’éprouvais dans tout mon
corps m’incita à mettre le comble à mon sadisme en poursuivant le supplice
par une sixième marque de feu au niveau du pubis. Une odeur de cramé me
sauta aux narines. Ce qui me fit arrêter. Je regrettais presque
immédiatement cet arrêt ; car, à chaque fois, de plus en plus fort, je
ressentais une jouissance croissante, inédite, inouïe, très différente des
plaisirs déjà éprouvés dans les bras de mon amant ou sous la férule de mon
maître bien-aimé.
Ce bonheur insolite était si nouveau que je me promis de le renouveler dès
que mon amant en exprimerait le désir. Mais je me promis à moi-même que, la
prochaine fois, il léchera et avalera mon sang menstruel.
Vue la tournure prise par nos relations depuis ces dernières semaines, je
ne fus pas surprise, aujourd’hui, arrivant dans le studio, de trouver cette
injonction de mon Maître : « à 18 heures exactement (…)
, je veux te trouver complètement nue, un bâillon entre les dents et
fermement noué derrière le cou, le sac de cuir te couvrant la tête et
le cou, de manière à ce que tu ne puisses rien voir, et que ton visage
me soit invisible. Ainsi tu ne seras que la femelle anonyme, offerte à
l’esprit bestial qui me ronge depuis notre dernière épopée sexy
dimanche dernier dans le caveau du Dionysos. Tu auras les bras levés,
portant dans ton corps, bien en évidence, les signes des trois épreuves
que tu as subies, pour mon plus grand plaisir, depuis le début de cette
année : les pinces d’acier agrippant le bout de tes tétons, reliés par
une chaînette portant un poids suffisant pour étirer tes seins jusqu’au
niveau de ton nombril, une aiguille à tricoter en métal traversant de
part en part ton sein gauche, et ta brosse ronde à démêler tes cheveux
– celle aux poils drus – enfoncée dans ton vagin de telle sorte qu’elle
ne laisse sorti que le manche. Tu placeras sur la petite table ce qui
fut le premier signe très douloureux de notre connivence, la planche à
pain chargée de te meurtrir les fesses. Tes mains toucheront les coins
supérieurs de la porte-fenêtre ouverte, les jambes seront largement
écartées, les pieds coincés dans les coins inférieurs. Tu resteras
ainsi en attendant ma venue
. »
Mais du coup, tout en me sentant follement heureuse pour mon bien-aimé, une
folle Bangoisse me saisit. Je tremble. J’hallucine. Que mon Maître va-t-il
bien inventer, maintenant qu’il affirme sans fard la part de passion
sadique qu’il cachait si bien ? M’offrir ainsi, aveugle et nue, ouvre la
possibilité d’abominations auxquels je me refuse : ne va-t-il pas me livrer
à quelques amis ? Ou jouer cruellement avec mon corps sans défense, ou quoi
encore ?
Le Sac de Cuir 2
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